// KACHGAR, UNE VILLE EN VOIE D’EXTINCTION

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portrait de ville

Portrait de ville à la croisée des mondes

Pour ce portrait de ville j’ai décidé de rendre hommage à une ville millénaire en voie d’extinction. Une ville dont j’ai eu la chance de parcourir quelques fragments avant sa métamorphose finale. Alors non, je ne parle pas d’une ville détruite par les bombes d’une guerre, mais d’une ville détruite par les pouvoirs en place d’un pays qui ne supporte pas de la voir debout. Il s’agit d’une cité historique, symbole de l’ancienne route commerçante de la route de la Soie, une ville oasis pleine de caravansérails où se mêlaient les marchands du bout du monde et dont l’existence renvoyait il y a quelques années aux Contes des Mille et une Nuits Il s’agit de Kachgar, une ville de la région autonome Ouïghour du Xinjiang.

Alors Kachgar c’est un peu la Lhassa de l’ouest, et les Ouïghours, les Tibétains du désert dont on ne parle pas, ou très peu. En effet, les Ouïghours n’ont pas de représentant dont l’image rayonne mondialement comme les tibétains l’ont avec le Dalaï Lama. Les Ouighours sont turcophones et musulmans, ils souffrent en silence et quand ils descendent dans la rue ils sont massacrés et l’information est peu relayée dans nos contrées occidentales. Aussi, Kachgar n’est pas un cas isolé, la destruction tous azimuts qu’opère Pékin est répandue dans tout le pays et ce sont des villes et des cultures entières que le gouvernement fait disparaitre à vitesse grand V.

UN TERRITOIRE STRATÉGIQUE

Kachgar fait partie de la région autonome du Xinjiang, région annexée par Mao dans les années 50 et qui détient les plus grosses réserves en pétrole, gaz et charbon du pays, c’est également la région la plus militarisée, on dit qu’un chinois sur trois y travaillerait pour l’armée. Une armée omniprésente à l’intérieur et à l’extérieur des villes. Le gouvernement a envoyé s’installer là-bas plusieurs milliers de colons Han, beaucoup sont des soldats transformés en paysans prêts à prendre les armes en cas de soulèvement Ouïghour ou pour défendre les frontières. En attendant ils cultivent les meilleures terres de la région avec d’autres ruraux venus des quatre coins de Chine, installés ici pour coloniser l’ancien territoire musulman du Turkestan Oriental. Les Ouïghours sont donc dépossédés de leur terre et subissent des pressions permanentes, cachées derrière une soit-disant autonomie orchestrée par Bejing : le gouverneur de la région est en effet un Ouïghour obéissant aux ordres des grands patrons.

EN ROUTE VERS LA DESTRUCTION

En 2000, il a été annoncé que 85% de la ville de Kachgar allait être démolie, l’argument : la modernisation. Dans mes notes de voyage, Kachgar est : « Une ville schizophrène, avec maisons en pisé, ruelles tortueuses, grands bazars, femmes voilées des pieds à la tête, le visage couvert, hommes chapeautés de doppa, vendeurs de pastèques et de melons sur des carrioles tirées pas des ânes, barbiers sur le bord des trottoirs accompagnés par tous les artisans possibles et imaginables. Moutons entiers pendus, grillades fumantes, larges nouilles à la viande de mouton, buveurs de thé, scooter électriques, appels à la prière. Une ville turque qui grouille, pleine d’odeurs et de bruits et qui nous renvoie aux récits d’Ella Maillard. La poussière sur le sol, les coursives en bois peintes, les maisons cachées derrière des hauts murs et dont les grandes portes en bois ornementées laissent parfois entrevoir de larges cours intérieures avec estrades surmontées par des balcons supportés par des arcades en bois. Et partout des gravas, des gravas de maisons détruites, de maisons en cours de reconstruction avec ici et là des ouvriers chinois qui rebâtissent en brique de pâles copies des édifices centenaires d’une architecture riche, mais vouée à disparaître. Et un peu plus loin, la Chine dans toute sa splendeur, tours, écrans géants, carrelage blanc, gymnastique matinale d’entreprises avec chants nationaux, parcs avec joueurs de cartes, chorales, chorégraphies chinoises, grandes surfaces avec tout le matos du monde … normal ! C’est eux qui produisent ». C’est à peine ce qu’il restait de la vieille ville turque en 2012 et qui est voué à être un peu plus anéanti. L’Unesco a bien essayé de classer la cité patrimoine mondial mais la Chine s’y est opposé.

Pour l’Empire du Milieu, il faut apporter l’eau courante et l’électricité, agrandir les rues pour faire passer les pompiers et les secours en cas de pépin (tout cela rappel le baron Haussmann et la destruction des rues tortueuses pour éviter les barricades et faire passer la garde nationale) et détruire pour reconstruire afin d’éviter les risques sismiques, et pour ne pas trop bousculer la population on reconstruit « type » ouïghour ! Des maisons en toc et un centre historique réduit au strict minimum, dont il faut payer l’entrée pour le visiter.

Ce qui reste encore debout de la vieille ville.

Ce qui reste encore debout de la vieille ville. Anastasia Procoudine-Gorsky. Tous droits réservés.

UNE POPULATION RÉPRIMÉE

Dans ce qu’il reste de la vieille ville les familles qui ont accepté d’être « éduquées » ont la chance de posséder sur leur portes d’entrées des plaques gouvernementales qui annoncent qu’il s’agit de familles « propres », « civilisées » etc. A d’autres, on offre des logements plus vastes, pour qu’ils abandonnent ceux d’origine, construits sur d’anciens quartiers rasés, un plan de 450 millions de dollars prévoyait de déplacer 50 000 habitants de la vieille ville sur 200 000, dans des logements neufs en périphérie de la ville. Avant chacun avait son espace extérieur à l’intérieur des murs, aujourd’hui hommes et femmes sont contraints de rester dans leur appartement ou au pied des immeubles à même la rue. Et ce sont toutes les pratiques des modes habités qui se voient bouleversés et des habitants qui se retrouvent sans choix, car clairement menacés. En 2009, la région a connu de violentes émeutes réprimées avec force par les autorités. Aujourd’hui, des centaines de familles restent sans nouvelles de leurs proches. Les Ouïghours ont appris à vivre avec cette pression omniprésente, les contrôles, l’impossibilité d’accéder à des postes importants, l’apprentissage du mandarin à l’école, le contrôle des Imams, le remaniement du Coran pour que les sourates correspondent aux idéologies communistes, l’interdiction pour les mineurs d’accéder aux mosquées. Le « projet beauté » : pousser les femmes à se « dévoiler » quant aux hommes, on leur interdit de porter la barbe, sauf aux anciens ! Tout ça sous les yeux des caméras de surveillance.

Maisons détruites de la vieille ville.

Maisons détruites de la vieille ville. Anastasia Procoudine-Gorsky. Tous droits réservés.

UNE STRATÉGIE POLITIQUE

Et pendant ce temps, la ville s’étend, une ville organisée en damier écrasant le modèle de la médina. Si ce modèle en damier, organisé selon un modèle millénaire pour les chinois est mis à mal dans les « villes copies européennes », ici il s’impose et détruit la ville originelle. La ville devient alors le jeu de tous les pouvoirs, un moyen de pression politique pour les chinois sur les natifs. Et c’est un jeu de déconstruction – reconstruction – conservation, qui s’opère. Ce sont plusieurs milliers de dollars qui sont injectés sur ce territoire. Des constructions pharaoniques apparaissent, des centaines d’immeubles se dressent, des immeubles qui doivent accueillir de nouveaux colons. Des immeubles standardisés et fonctionnels sans charme et qui pointent vers le ciel. Des commerces sont installés dans des constructions modernes typées « ouïghour », on reprend des codes pour orner les façades : coupoles, niches, arcades, ce qui permet de donner un faux-air d’authenticité et d’exotisme. Des nouvelles places sont aménagées, une des Mosquée qui était au coeur de la ville est aujourd’hui entourée par une place centrale carrelée immense. Des écrans géants et des banderoles publicitaires trônent sur les façades des immeubles. Un nouveau paysage urbain s’impose aux yeux des habitants. Ce qui est conservé ou pastiché tel un village Potemkin n’a qu’un seul but : attirer la manne touristique. Ainsi l’espace traditionnel urbain est marchandisé et ce qui est conservé l’est juste car il peut être rentable économiquement.

Aménagement de la grande place en carrelage face à la Mosquée Id Kah.

Le nouveau paysage urbain de Kachgar. Aménagement de la grande place en carrelage face à la Mosquée Id Kah. Anastasia Procoudine-Gorsky. Tous droits réservés.

LA MODERNITÉ DESTRUCTRICE COMME MODÈLE CRÉATEUR DE VILLE

Mais Kachgar et le Xinjiang ne sont pas une exception ! Supprimer les marques du passé est commun en Chine depuis la mise en place du régime communiste. C’est d’abord le patrimoine chinois qui a été détruit, et encore aujourd’hui des hutongs entiers disparaissent. Au-delà de l’écrasement des minorités pour créer un peuple homogène et uni, d’une stratégie pour tirer profit des avantages d’un territoire, c’est surtout pour les chinois un moyen de construire la modernité, de prouver leur marche en avant. Le modèle du damier est un moyen politique, économique et de contrôle pour gérer les villes et les populations mais aussi un moyen pour s’étendre sur les territoires, qu’ils soient ceux de minorités ou non. La construction et la reconstruction de la ville permettent donc une gestion totale de l’espace urbain. Rien n’est laissé au hasard et c’est ainsi que toutes les spécificités d’un lieu, d’une culture, de pratiques d’un peuple, s’envolent en fumée, remplacées par un modèle rigide et normalisé. Et c’est le coeur lourd que ceux qui ont connu Kachgar et ceux qui ne la connaitront jamais telle qu’elle était, observent, impuissants, sa disparition et tout ce qui l’accompagne.

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Face à face de deux modèles: à gauche la ville chinoise en damier, à droite la médina, ce qui reste de la vieille ville de Kachgar. Anastasia Procoudine-Gorsky. Tous droits réservés.

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// APG

 

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4 réflexions sur “// KACHGAR, UNE VILLE EN VOIE D’EXTINCTION

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