Moins calée en culture asiatique qu’APG, je me suis interrogée à la lecture de son article European style made in China sur l’art et les fondements du plagiat. En architecture, un premier déni semble dire qu’il est impossible de copier un projet d’autrui car chaque projet s’expose à des contraintes trop spécifiques (site, maîtrise d’ouvrage, budget…) qui le rendent unique et inégalable. Pourtant on connaît quelques bâtiments bien trop ressemblants et la justice œuvre régulièrement pour des cas de plagiat. Comme le montrait également APG avec ses Venise à Shanghaï.
Alors ressemblances fortuites, héritages, contrefaçons ? Développons un peu.
PLAGIAIRE EN DÉFAUT
Selon M. Larousse, le plagiat se définit par l’action de « piller les œuvres d’autrui en donnant pour siennes les parties copiées ». Ce vol immatériel constitue une faute morale, commerciale et civile et est punit par la loi –et est interdit par le code déontologique de l’Ordre des architectes-.
L’attention portée au plagiat et aux préjudices qu’il porte (ou peut porter) est issue du monde littéraire, depuis les tous premiers siècles de l’histoire de la pensée. Pour Diderot, le plagiat constituait « le délit le plus grave qui puisse se trouver dans la République des lettres ». Aujourd’hui, le plagiat s’étend à toutes expressions du domaine intellectuel, scientifique et artistique, pour défendre la propriété intellectuelle.
Dans le droit français actuel, le mot plagiat n’apparait toutefois pas. Le méfait est décrit comme suit: « toute reproduction, représentation ou diffusion, par quelques moyens que ce soit, d’une œuvre de l’esprit en violation des droits de l’auteur ». Il est dit aussi que la copie à titre humoristique (le pastiche) est exclue de l’application de loi sur la propriété intellectuelle.
LE RETOUR À LA SOURCE
Les mouvements culturels qui font de la copie leur art ou forme de pensée échappent à ce contexte.
Une première série de photos d’œuvres du mouvement moderne pourrait convaincre que certains architectes en panne d’inspiration ont abusé du plagiat, et que les spécificités d’un site ou d’une commande peuvent vite être détournées pour réaliser des bâtiments bien trop semblables. Mais ce serait sans tenir compte du fait que le mouvement moderne s’est justement construit sur une réflexion de la production en série et de l’élaboration de règles internationales de conception.
Ces projets portent leurs ressemblances en signe d’adhésion aux préceptes du mouvement et en hommage aux fondateurs, qui sont parfois leur contemporains et amis.
Dans d’autres temps, la reproduction était une arme estimée nécessaire à l’apprentissage et à la formation artistique. Du XVIIIe au XIXe, toute la production artistique et architecturale était confiée aux seuls ressortant de l’Ecole des Beaux Arts, gage retentissant d’un savoir-faire académique issu de l’art de la copie ou de l’assimilation des ancêtres. A cette époque, il semblait essentiel de passer par la reproduction pour s’approprier un héritage culturel et libérer les talents.
Dans la culture chinoise, l’acte de copier est depuis toujours un ancrage culturel fort, pilier des arts ancestraux, la calligraphie et l’estampe. Attachées d’abord à la ferveur religieuse, les copies bouddhiques sont des offrandes offertes pour requérir différentes demandes : implorer la paix pour le souverain, exaucer des vœux particuliers, demander une attention particulière pour des parents défunts.. Pour les laïcs, la copie s’insinue comme un travail d’apprentissage. Le trait devient un art, dont la technique s’acquiert par la reproduction répétitive des mêmes œuvres. L’exercice devient un moyen de transmission des savoirs, des textes mais aussi de l’écriture en elle-même.
Fort de cet héritage culturel, la reproduction est vue en Chine comme une forme d’art ancestrale et de partage communautaire et n’est pas diabolisé comme en Europe où contrefaire est une anti-valeur.
Historiquement, la Chine joue aussi son essor économique sur les bases de la contrefaçon, pour rattraper un développement en berne par rapport aux nations occidentales à la fin du XIXe siècle. Dans les années 50, Mao Zedong initie un mouvement de modernisation du pays et incite ses citoyens à reproduire la méthode de création soviétique. A sa mort, celui qui est aujourd’hui considéré comme le père de l’ouverture économique du pays, Deng Xiaoping prend sa suite et sollicite la reproduction de l’ensemble des techniques de marché du monde occidental.
MADE IN CHINA
Alors qu’en serait-il de la Chine et de son attrait pour le pastiche, le plagiat et la contrefaçon ? Ne pourrait-on concevoir que la copie agit en Chine comme l’expression d’un art et d’un mouvement culturel en lui-même ?
Ce phénomène existe et s’appelle le Shanzhaïsme. Littéralement, le Shanzhaï signifie un village de montagne, mais par extension, il symbolise les lieux où, loin du pouvoir, règnent les pirates libres d’opérer toutes sortes de contrefaçons. Le shanzhaïsme représente donc au commencement un marché de contrebande où la production d’objets applique davantage d’attentions aux performances économiques qu’aux droits d’auteurs. L’objectif est commercial : ces objets au bas prix satisfont la classe paysanne, qui constitue la majeure partie de la population chinoise. Un marché est né.
Véritable succès, le Shanzhaï se développe dans la culture chinoise et devient incontournable. Des iphones aux sacs de luxe, les réinterprétations plus ou moins fidèles agissent sur tous les domaines, du détournement de logos au design, du vin aux stations essences, de l’urbanisme aux stars de la pop en vogue en Asie.
Aucun produit n’est épargné, pas même les évènements culturels qui sont eux aussi remaniés pour devenir des rendez-vous cultes du mouvement. Parmi les plus connus existent le Shanzhai National Gala de printemps, la Shanzhai Lecture Room, le Shanzhaï Prix Nobel – véritable cérémonie avec des sosies de pop-star en guest-. Autre exemple édifiant, le faux relai de la flamme olympique, qui en 2008, passa dans les villes oubliées de l’organisation officielle des jeux.
UNE (CONTRE) CULTURE
Cette culture made in China est certes déstabilisante pour les procéduriers du plagiat, mais défend cependant un nouveau modèle culturel et économique adapté aux besoins d’une population et pourrait être finalement une source d’inspiration. Sanctionnés par le déclin d’une société inégalitaire, ces hommes se sont appropriés leur héritage culturel pour le faire revivre à leur portée, avec une once de pastiche. Avec même plus d’ambition et de sens autocritique, ils ont réussi à détourner les codes et les produits de notre société de consommation pour une expression somme toute poétique et innovante.
Ce versant créatif trouve sa meilleure expression avec l’irrévérencieuse Shanzhaï Bienniale. Ce vrai-faux rassemblement artistique offre une programmation complète avec soirées de lancement de produits qui ne seront jamais mis en vente et campagnes publicitaires pour un vestiaire qui restera à jamais imaginaire.
En 2010, l’artiste Caï Guo-Oiang actait aussi en ce sens et offrait aux ingénieux Paysans Da Vinci (le titre de l’exposition) leur place au musée. L’inauguration du Rockbund Art Museum de Shanghai s’est donc fait face aux incroyables bricolages d’avions, de robots, de bateaux et d’hélico dénichés dans les campagnes chinoises. Ces pièces d’ingénierie faites-main symbolisent l’essence même du Shanzhaï, où les conditions de vie en périphérie du monde, obligent à faire preuve de débrouillardise pour se créer une vie et un art à partir de presque rien.
« TU RAMÈNERAS LE PLAGIAIRE À LA PUDEUR ». MARTIAL, EPIGRAMMES.
Toutefois malgré ces évènements, la Chine reste numéro un en matière de contrefaçon, avec 64,5% des produits saisis à l’échelle de l’Union européenne issu de sa production (en 2012). Le sujet ne fait donc pas sourire tout le monde.
Cette histoire fait écho dans ma tête à l’adage du poète latin Martial, qui invite dans ses Epigrammes à « ramener le plagiaire à la pudeur ». S’il n’est (peut-être) pas souhaitable de déclarer prendre la Chine en exemple, nous pourrions néanmoins nous inspirer du Shanzhaisme comme une leçon d’humilité.
En tant qu’architectes, est-il nécessaire d’accorder une suprême importance au lien tenu qui nous affilie à un projet ? Les bâtiments que nous créons sont destinés à être accueillis par un public, utilisés, personnalisés, adaptés et il n’est pas forcément nécessaire d’ajouter une ambition toute personnelle dessus.
Le petit son de l’article : Saint Motel – « My type »
Source images : internet
Une réflexion sur “// CEUX QUI COPIENT”