// AU LOIN UNE VILLE FANTÔME. MOYNAQ

Portrait de ville Moynaq

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Portait de ville d’Asie Centrale

L’expérience de la ville de Moynaq fait partie des moments les plus forts d’un voyage à sac à dos en Asie Centrale il y a 3 ans. Elle a été pour mon ami et moi le début de la découverte de l’Ouzbékistan mais aussi et surtout celle de l’un des plus grands désastres écologiques au monde. A travers ce portrait de ville, j’ai envie de vous faire partager l’effarement dans lequel nous avons été plongés lors de cette visite sur les anciennes rives de la mer d’Aral.

Moynaq est le symbole d’une partie des conséquences de la disparition de la Mer d’Aral. C’est une petite ville, ancien second port de ce 4e plus grand lac du monde qui cumule comme un certain nombre d’autres villes les catastrophes dues à l’ingérence d’un régime totalitaire. Elle se situe sur la rive sud de l’ancienne mer d’Aral en région Karakalpakie. La population de cet immense territoire mêle Ouzbeks et Kazaks. Autrefois la population était composée de bergers et de pêcheurs nomades. Les oasis, les rivières et les lacs ainsi que les forêts et les fermes se sont asséchés depuis le retrait de la mer, anéantissant la région.

REGARD SUR UNE VILLE [PRESQUE] FANTÔME

Depuis Kungrad, petite ville perdue d’Ouzbékistan, nous rejoignons Moynaq. La route est cabossée, ce qui reste du bus cahote. A gauche, à droite : la steppe, sur laquelle courent de petits buissons secs, ocres et qui tranchent avec le bleu du ciel. Des vieilles femmes à foulards fleuris et dents en or, des papis en casquette et chapka, des enfants, tous dorment bercés par les secousses. Des dindons et des sacs de farine glissent sur le sol. Un type me fait écouter Sean Paul sur son téléphone des années 2000. Nous arrivons au milieu du désert. La mer a disparu, elle est aujourd’hui à environ 80km. Vive émotion sous le soleil et dans la poussière.

C’est un malaise profond qui nous submerge quand nous posons nos pieds sur le sol de cette petite bourgade de quelques milliers d’âmes. Dans les années 70 ils étaient 100 000, 30 ans plus tard 13 000 et aujourd’hui 2000, la majeure partie de la population s’étant enfuie. Et c’est une sorte de ville fantomatique qui s’offre à nous. Nous déposons nos affaires dans le seul hôtel en activité de la ville. Un immeuble soviétique en piteux état, nous sommes en mars, ils viennent de rouvrir, mais il n’y a personne à part nous. Les quelques touristes qui viennent constater le désastre écologique qui frappe ce territoire sont rares et dorment rarement sur place. Le propriétaire nous amène à notre chambre, spartiate, deux lits une place, un bureau, les w-c sont au rez-de-chaussée et il n’y a pas de douche, juste un bac d’eau glacée. Ce n’est pas très grave nous ne sommes pas là pour prendre un bain. Le long couloir qui dessert les chambres avec son tapis rouge me fait froid dans le dos, l’absence totale de vie de cet hôtel me fait étrangement penser au film « Shining ». L’ambiance générale de la ville est impressionnante, le soleil tape fort, il n’y a pas un bruit seulement le vent, et partout : le sable.

Portrait de ville Moynaq

Vue sur la ville

LA DESTRUCTION RAPIDE ET ORGANISÉE D’UN ÉCOSYSTÈME

Si le sable est omniprésent, c’est en raison des 90 jours annuels de tempête de sable qui sévissent dans la région depuis plusieurs années. Si les terres se désertifient et que l’on parle du « désert d’Aral » et non plus de la mer d’Aral, c’est que cette dernière est en train de disparaitre pour de bon. Durant la période soviétique les chefs du parti se sont rendus bien vite compte qu’ils devaient être autonomes quant à la production de coton, alors l’Asie centrale a été désignée comme fournisseur principal. Mais le climat aride des steppes ne semblait pas prédisposer la région à accueillir une culture à si grande échelle ; aussi les deux plus gros affluents de la mer d’Aral : L’Amou-Daria et le Syr-Daria arrivant de l’Est du pays par le Tadjikistan et le Kyrgyzstan ont du être détournés pour permettre une augmentation considérable des surfaces irriguées (doublant l’ensemble des prélèvements en eau). Or, en raison de l’inefficacité des infrastructures d’irrigations (absence de revêtements des canaux et mauvais réseau de drainage) les sols ont été engorgés et l’augmentation de leur salinité est montée en flèche. D’après la FAO, en 1990, 95% des marais et des terres humides avaient disparu et ont été remplacés par des déserts de sable. Par ailleurs, plus de 50 lacs du delta, couvrant 60 000 ha ont été desséchés. Les pesticides et les engrais utilisés ont pollué les eaux.

La mer reçoit moins de 10% de l’écoulement naturel, le taux de sel a quadruplé, rendant impossible la vie de la faune et de la flore. Les 28 espèces de poissons endémiques ont disparu. L’économie de la pêche s’est effondrée, plongeant les populations dans la pauvreté. Avec l’évaporation de l’eau, les pesticides couvrant le fond de l’ancienne mer sont emportés par les vents sibériques mêlés aux gigantesques masses de sable, contaminant la population. Le taux de mortalité infantile a explosé, il est l’un des plus élevés au monde, et toutes sortes de maladies dont le cancer font des ravages dans les populations avoisinantes. La température est devenue étouffante en été alors qu’en hiver elle a baissé par rapport à autrefois et est aujourd’hui glaciale.

L’écosystème de la mer et l’organisation sociale qui en dépendaient se voient alors sacrifiés.

Portrait de ville Moynaq

Panneaux représentant la disparition dans le temps de la mer

LES PLANS DE SAUVEGARDE

La partie Nord de la Mer a fait l’objet d’un plan de sauvegarde par le gouvernement du Kazakhstan en 2005 avec l’installation d’un barrage séparant les bassins nord et sud ce qui a permis d’augmenter en partie le niveau de la mer de ce côté, mais cela reste tout de même minime. La partie sud, elle, risque de totalement disparaître.

Etonnamment le « président » ouzbèke en place depuis 25 ans, Islom Karimov, et le secrétaire général de l’ONU ont fait appel à l’aide internationale pour faire face à l’assèchement de la mer et ce sont plusieurs organisations donatrices qui se sont engagées à verser 3 milliards de dollars pour aider l’Ouzbékistan à affronter le désastre organisé. Pourtant, à l’heure actuelle, la production de coton qui assèche la mer ne s’est pas arrêtée, bien au contraire, et chaque année hommes et femmes de tous âges et de toutes conditions sont mobilisés pour la récolte nationale qui dure 60 jours. Il ne s’agit pas de bénévolat ou d’un choix consenti par les travailleurs mais bien d’un travail forcé organisé par le gouvernement. Licenciement, renvoi de l’université sont les moyens de pressions en cas de refus de cet enrôlement. L’économie du pays est en fin de compte dépendante de cette catastrophe écologique.

De plus, l’exploitation gazière et pétrolière au fond du lac s’intensifie, il est beaucoup plus pratique de pomper directement dans le sol plutôt que s’encombrer avec de l’eau ! Rien ne laisse présager une réelle volonté du gouvernement de sauver ce qu’il reste du peu d’eau dans le bassin sud.

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UN PAYSAGE MUTILÉ

Si Moynaq était une petite ville prospère du fait de son statut de second port de la mer d’Aral, les activités se sont arrêtées depuis les années 80. Les entrepôts et les usines du plus gros employeur de la région (une entreprise de conserves) ont fermé leurs portes, leurs toitures sont couvertes de sable. Les infrastructures sont vétustes ou mortes : gare routière, commerces. Des cadavres de bateaux reposent sur le sol de l’ancienne mer en dessous des falaises. Des familles entières ont déserté, seulement en Ouzbékistan on ne se déplace pas librement, il faut des visas pour changer de région ou pour s’installer dans la capitale. La réglementation s’est faite donc plus draconienne pour lutter contre les migrations, car ce sont toutes les régions voisines de la mer d’Aral qui sont touchées, condamnant des familles à rester sur place. Les hommes, qui le peuvent partent chercher du travail et de l’argent dans les pays voisins, pendant que les femmes et les enfants s’occupent des champs quand il y en a, et c’est toute l’organisation sociale et familiale qui est chamboulée. L’économie est alors centrée sur la famille, l’argent gagné ailleurs est investi dans la restauration de la maison familiale ou dans une nouvelle voiture au détriment du développement collectif. A Moynaq, les gens survivent, les enfants et les personnes âgées vivent aux dépens de ceux qui peuvent leur envoyer des sous. Les maisons se détériorent, les routes ne sont plus entretenues, les poteaux électriques manquent de s’effondrer. Le développement accéléré des moyens mis en place pour faire évoluer une économie a engendré, une catastrophe écologique qui par un effet boule de neige est devenue une catastrophe sanitaire et sociale.

Et enfin, c’est le grand paysage qui s’est transformé, c’est la mer que l’on a arraché aux habitants, à cette ville. Ce lien fort que l’homme entretient avec le territoire qu’il habite, et qui est constitutif de son être, c’est un peu, quand même, ce qui le caractérise. Nous sommes urbains ou ruraux, nous sommes de la mer ou du désert, de la plaine ou de la montagne. L’homme est façonné par le territoire qui l’abrite, ses pratiques et son mode de vie en découlent. De profonds changements transforment nos paysages depuis un siècle, les campagnes subissent l’étalement urbain, l’intensification de l’agriculture, les montagnes sont colonisées par les stations de sports d’hiver mais qui était prêt à subir en l’espace de 30 ans la disparition d’un bord de mer ?

Lorsque nous étions debout à admirer les carcasses de bateaux, le gardien du « mémorial » de la mer d’Aral (qui n’est en fait qu’une simple sculpture) s’est approché de nous avec sa canne, son grand âge, et son regard perdu pour nous faire comprendre comme il le pouvait que lorsqu’il était enfant, ici même il se jetait dans les vagues, jouait dans l’eau et nageait au loin.  Tout en nous comptant son histoire son regard s’est illuminé n’arrivant plus à se détacher de l’horizon, loin là-bas, où il reste peut être encore un peu de mer. 

Portrait de ville Moynaq

Épaves reposant sur l’ancien fond de la mer

 //APG

 Le petit son de l’article : The Dø – « Slippery Slope »

 

 

 

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