// M6, ARCHITECTE D’INTERIM

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Depuis une dizaine d’années fleurissent sur les chaînes de télévision différentes émissions dont l’objet principal est de rénover un intérieur peu agréable ou un bâtiment vétuste. Deux d’entre elles ont attiré mon attention, toutes deux diffusées sur la chaîne M6 : « D&Co » et « Maison à vendre ». La première permet la rénovation d’une habitation en 8 jours et a été créée en 2006 tandis que la seconde facilite la vente d’un bien grâce au « home staging » (valorisation immobilière en français) et date de 2007. Chacune de ces émissions est présentée par un animateur charismatique et sympathique, Valérie Damidot pour « D&Co » et Stéphane Plaza pour « Maison à vendre ».

L’objectif de ces émissions est à la fois spectaculaire et social. Transformer un intérieur désuet et mal entretenu (voire de « mauvais goût ») en un espace contemporain et agréable à vivre, et venir en aide à des foyers qui n’ont pas toujours les moyens (financiers notamment) de réaliser des opérations de rajeunissement. Si Stéphane Plaza ne s’occupe pratiquement que de l’intérieur des maisons, avec l’intervention de décorateurs ou architectes d’intérieur, Valérie Damidot rénove également les extérieurs (menuiseries, façades) avec son équipe. Le concept est simple et louable, mais l’exploit doit avoir un coût, pas toujours énoncé. Visite exploratoire dans les moyens et modes de faire des émissions de M6.

LA BONNE INTENTION

Nul doute là-dessus, l’intention de la production parait bonne. Faire beaucoup avec peu de moyens, si possible avec un peu de spectacle, et une dose de marketing. Et le résultat est là. Les gens sont heureux, les maisons sont vendues ou rénovées et le contrat est honoré. Le montage est plutôt bien réalisé, avec des effets stupéfiants avant/après et un suivi de chantier familial et convivial, bref, le concept fonctionne. Il fonctionne tellement bien qu’en février 2015, le groupe M6 lance une nouvelle chaine sur internet spécialement dédiée à la décoration (6play home time). En parallèle, Valérie Damidot quitte M6 pour rejoindre NRJ12, le concept s’est d’ailleurs exporté depuis longtemps sur les autres chaînes de télévision.

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Avant/après sur un séjour. Bien entendu, le point de vue est bien choisi.

Le coût financier existe et celui-ci est partiellement traité dans les émissions, avec des prix affichés en toute transparence pour les matériaux, et la gratuité de la prestation intellectuelle pour la famille (conception, dessins, etc.). La question du coût de la réalisation reste en suspens, surtout pour des chantiers aussi rapides, nous y reviendrons. Non, ce n’est pas le coût financier qui pourrait poser le plus de questions, c’est le coût de l’honnêteté intellectuelle.

LE BON GOÛT

La première chose qui frappe, aussi bien dans le discours des animateurs que dans celui des professionnels qui interviennent sur la conception, c’est le caractère péremptoire du « bon goût ». Il n’est certes pas évident d’expliquer à de jeunes retraités que si leur maison ne se vend pas, c’est parce que leurs meubles sont vieux et leur décoration intérieure ringarde, mais la question n’est pas là. Au fil des émissions, le discours construit par la chaine conduit à une doctrine du bon goût qui pollue la conception. Faire moderne, cela voudrait dire avoir de grandes pièces avec des murs gris taupe, des meubles en bois brut et des grandes fenêtres. Ce discours n’est pas faux en soi, tout le monde aime le gris taupe et la lumière aujourd’hui, il est simplement malhonnête parce qu’il donne l’illusion à ceux qui regardent comme à ceux qui vivront dans la maison que le goût est une affaire de savoirs et de catalogues. Dans la pratique du home staging les professionnels en viennent même à suivre, et par conséquent à imposer, des modes de vie domestiques – pour des motifs évidents et assumés de cibles commerciales (les primo-accédant). Le grand séjour ouvert sur la cuisine, la chambre des parents séparée de celle des enfants, la chambre de l’ado isolée sous les combles, la salle de jeu, etc. Le problème ne repose pas sur le fond, puisque ces discours permettent l’amélioration des conditions de l’habitat vis-à-vis de la cible choisie et la vente des biens, il est sur la forme : l’habitabilité ne se résume pas au bon goût ou à un seul usage « type » de l’habitat. Chacun habite et occupe l’espace selon ses références culturelles, ses habitudes, son milieu social ou ses convictions.

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Autre lieu, même aménagement. Le conformisme fait rage dans les goûts et les couleurs.

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Intérieur de type contemporain relooké par l’émission D&Co, si le style peut être plaisant, il ne reflète en aucun cas une singularité propre aux occupants et renvoie à image marketing.

En imposant un schéma d’habitat et une doctrine du bon goût, les émissions font l’économie d’une réflexion au « cas par cas », elles se contentent d’appliquer un schéma classique en transformant le moindre espace en copie-conforme d’une image de catalogue. Je ne pourrais pas reprocher aux producteurs de ne pas avoir interrogé la notion de « bon goût » avant de se lancer, ce n’est pas l’objet de leurs émissions, je reste interpelé par l’usage mal abouti et faussement assumé du conformisme.

LES BONNES PRATIQUES

Le conformisme dont sont empreintes ces émissions ne se contente pas d’être appliqué pendant la conception des espaces transformés, il se poursuit pendant la phase travaux où l’on vante les mérites de matériaux bien connus, peu chers et faciles à mettre en œuvre. Tout cela, au mépris d’une réflexion, même légère, sur la qualité des matériaux, leur durabilité, et leurs conséquences sur la santé (guide la pollution de l’air intérieur). Faire croire à tout le monde que le vinyle est un matériau pratique pour une salle de bain ou que les fenêtres PVC à double-vitrage sont bonnes pour l’isolation thermique est à la fois réducteur et malhonnête. La modernité n’est pas une notion assez forte pour que l’on justifie d’éluder la question de la qualité et que l’on s’appuie uniquement sur la rapidité de la construction, l’économie de moyen et le résultat spectaculaire. L’architecture n’est pas une performance, c’est un art.

Les émissions emploient des techniques « faciles » en donnant l’illusion que le résultat est de qualité. Recouvrir de la tomette avec du linoleum ou habiller une charpente en chêne avec du lambris PVC est, au pire, une méconnaissance du matériau, au mieux, une solution d’appoint, un peu comme on installe un mobil home au fond du jardin lorsqu’on restaure sa maison. Et si la qualité a un prix, la santé n’en a pas. En architecture comme dans les aménagements intérieurs, la qualité sanitaire des produits est essentielle. Entre les meubles neufs en kit en bois aggloméré, les murs recouverts de peintures industrielles, les tissus synthétiques, le sol en vinyle et les fenêtres en plastique, le conformisme impose une maison tout droit sortie d’une usine pétrochimique.

LE BON MASSACRE

Les deux émissions sont intervenues à plusieurs reprises sur des bâtiments anciens, un patrimoine rural ou urbain, parfaitement incompatible avec le conformisme. J’ai assisté à la transformation en 8 jours d’une vieille ferme du XIXe siècle en un pavillon de banlieue des années 2000, prouesse technique et esthétique. Il ne s’agit pas là d’une affaire de goût, mais de règles de l’art. Le patrimoine ancien comporte de nombreuses traces des modes de constructions et des matériaux employés autrefois, durables, économiques, locaux. On peut parfaitement mélanger un pigment gris taupe à un enduit à la chaux aérienne ; il faut laisser respirer le bois et la pierre en évitant de les recouvrir de plastique ; on se retient de détruire un sol en terre cuite vieux d’une centaine d’année, parce que « ça fait vieux » ; on y songe à deux reprises avant de jeter à la benne la porte en chêne massif qui a pris le soleil, pour la remplacer par une porte PVC avec imposte vitrée en demi-lune, comme dans les catalogues.

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La benne sert dans l’émission à recueillir l’ensemble des éléments qui seront jetés (meubles, cloisons, menuiseries, etc.). Son poids détermine le prix qu’il sera possible d’investir dans les travaux. Plus on jette, plus cela rapporte.

Le principe est simple, si l’on décide d’appliquer un certain conformisme « moderne » dans l’architecture, il faut que l’objet auquel on l’applique soit moderne. Un pavillon de banlieue, construit entre les années 50 et les années 2000 fait parfaitement l’affaire pour ce type d’émission.

Le massacre du patrimoine, dans ces conditions, ne relève pas d’une mauvaise volonté, c’est la conséquence inévitable et logique de l’application d’un conformisme dans l’architecture ancienne et l’absence totale de culture. M6 aurait pu contribuer à la promotion d’une architecture durable, à l’utilisation de matériaux écologiques (et beaux !) ou encore à la promotion d’une rénovation « dans le respect des usages locaux ». Mais tout cela n’est pas possible en 8 jours.

Le bon massacre, enfin, c’est pour les entreprises et les artisans qui voient sur les ondes hertziennes des collègues travailler jour et nuit dans des conditions très limites pour finir leur œuvre en un temps record. C’est une image à la fois malhonnête et erronée du chantier. Un bon chantier, cela a un véritable coût. Comment peut-on imaginer une seule seconde que les matériaux sont correctement mis en œuvre ou que les temps de séchage sont respectés ? La supercherie a ses limites, je suis convaincu que la chaine ne ment pas, les chantiers sont bien réalisés en 8 jours, mais pour quelle longévité ? Dans une interview donnée en 2014 sur les ondes d’une radio, Valérie Damidot regrettait (mais est-ce bien étonnant ?) que les dernières saisons de l’émission se soient davantage focalisées sur les gens et aient mis de côté l’aspect « performance » du projet. Ses propos frisent l’ironie.

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Pour ces deux émissions, la bonne volonté a un coût, celui de préférer la performance à la qualité, à la santé et à l’honnêteté. A ce prix-là, sans grande surprise, on ne trouve aucun retour sur les travaux après plusieurs années. Le spectacle et le marketing auront raison de nos savoir-faire, mais peu importe, car au fond, grâce à ces émissions, nous sommes tous un peu architectes, de l’intérieur.

  //Grégoire Bruzulier

Pour aller plus loin, un travail sérieux d’Hugo Crespy, architecte, sur le sujet plus large de la diffusion de l’architecture à la télévision, l’angle d’approche est à la fois historique, sociologique et philosophique :  Vu_a_la_tele_MemoireRecherche_ENSAPM_HugoCrespy

 

Le petit son de l’article : Ibrahim Malouf / Oxmo Puccino – « Tomber longtemps »

 

Sources : Internet pour les images / youtube pour les vidéos

 

 

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9 réflexions sur “// M6, ARCHITECTE D’INTERIM

  1. Voilà pourquoi, malgré l’insistance de la plus grande de mes « crapulettes », les sbires de M6 sont « persona non grata » chez moi.

    Mon intérieur est sans doute moche, mal fichu, de mauvais goût, et pas fini mais il me ressemble !

    Quant à la télévision comme vecteur de savoir, je préfère ce qu’en disait Vian:

    « J´avais la télé, mais ça m´ennuyait
    Je l´ai r´tournée… d´l´aut´ côté c´est passionnant »

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  2. J’approuve bien sûr l’ensemble de ce qui est dit, le formatage de masse c’est une spécialité de nos chaînes télévisées dites populaires. On voit bien comment cette unité de ton, de concept et de méthode se retrouve sur bien des émissions. Mais que dire des émissions de France 5, chaîne culturelle réputée pour son rô le éducatif et son approche plus réfléchie des sujets. Tous les jeudis soirs nous avons droit à « la maison France 5 ». On assiste ici à une présentation de lieux, construits, rénovés, pensés par des architectes qui nous font même l’honneur de la visite. Beaux matériaux, nobles, écologiques, durables et chers….très chers.
    Alors, la ménagère est obligée de faire le grand écart entre d’un côté des aménagements sans goût, sans personnalité et de l’autre un luxe inaccessible et réservé aux classes initiées.
    Peut être que la morale de tout cela c’est qu’il ne faut pas trop compter sur la télévision pour notre éducation à l’esthétique, soyons circonspects, faisons oeuvre de création dans nos vies avec ce qu’il faut de clairvoyance pour ne pas tomber dans les pièges de la facilité !

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  3. En faisant un tour sur le site web de l’émission D&Co, il semble que le groupe M6 ait créé en parallèle un e-commerce de produits de bricolage, jardinage, etc. Les émissions dont vous parlez ne seraient-elle pas au final qu’une immense pub auto-produite ? Tant qu’il y a du rêve, il y a des poires (bonnes poires).
    Quant au mauvais goût, il est vrai que ça ressemble à du formatage ; ce qui appelle deux remarques.
    1/ Quand une émission a trouvé sa formule, les grandes chaînes reproduisent le schéma à la pelle, jusqu’à épuisement du public. Ici, visiblement (malheureusement ?), le public ne s’épuise pas.
    2/ Ces émissions ne s’adressent probablement pas à un public désireux d’une qualité architecturale. D’ailleurs, la légende de l’avant dernière photo (la longère normande) dit tout : plus on jette, plus c’est lourd, plus il sera possible de refaire. Alors forcément, la porte d’entrée en chêne a tout intérêt à dégager ! La quantité au détriment de la qualité. C’est le sort de notre société, pas seulement en architecture.

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    • En effet, un immense coup de publicité, et cela ne s’arrête pas là, puisque Stéphane Plaza (dont l’émission continue sur M6) vient de créer un réseau d’agence immobilières qui recrutent en ce moment même (http://www.lavoixdunord.fr/region/stephane-plaza-cree-son-propre-reseau-immobilier-une-ia0b0n2842840). Je ne sais pas s’il est possible de parler de conflit d’intérêt, mais la question de la diffusion d’une culture architecturale populaire par une chaine de télévision, qui se positionne ensuite sur les créneaux commerciaux qu’elle vente dans ses émissions me laisse perplexe…
      Quant à l’intérêt pour la qualité architecturale, je suis d’accord et on peut regretter la facilité avec laquelle les producteurs déconsidèrent le citoyen moyen et voguent sur le courant abondant et inépuisable du conformisme. On peut très bien parler « déco » si c’est à la mode, mais pourquoi ne pas le faire avec honnêteté et pédagogie? En véhiculant des idées comme « la quantité de déchets fait la qualité du porte-monnaie » ou « vite c’est bien, vite et pas cher c’est encore mieux », la chaine trompe beaucoup de monde, et fait du mal à beaucoup de professionnels qualifiés…
      Je retiendrais cette belle phrase qui aurait pu être la conclusion de l’article : « Tant qu’il y a du rêve, il y a des poires » (RM)

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