Certains voyages vous emmènent à Aktau, d’autres à quelques kilomètres de chez vous, mais ici ou là, nous pouvons vite être subjugués par la découverte d’un univers hors pair. Ce weekend, c’est une expérience comme celle-ci que j’ai vécue, de l’autre côté du Vercors dans le massif d’Oisans. L’objectif était une course d’alpinisme pour gravir le pic de la Dibona, avec nuit d’escale à 2730m d’altitude au refuge du Soreiller.
Au tiers de la route de la marche d’approche, apparaît l’aiguille, immense, lointaine et effilée et à ses pieds, la baraque du Soreiller, robuste refuge à l’aplomb du dénivelé. L’émerveillement de ce paysage m’a certainement beaucoup aidé à passer outre la longueur de la marche en motivant des rêveries sur l’architecture des lieux. En effet, la présence d’un refuge en montagne évoque tous un tas de souvenirs et d’interrogations : pourquoi les premiers alpinistes ont-ils eu l’envie d’aménager un refuge ici, en terrain hostile ? Comment ont-ils approvisionné le premier chantier ? Comment survit un bâtiment si isolé exposé à des conditions hivernales extrêmes ?
Le refuge suscite toujours une émotion. Il accompagne un paysage à lui seul majestueux, et apporte un rapport d’échelle qui permet d’appréhender la hauteur et l’étendue des sommets. Ce moment d’architecture détonne dans cette nature sauvage, refuge si petit, mais si présent.
- Le refuge au pied du pic de la Dibona – cherchez bien, il est là !
- Refuge du Soreiller – Massif de l’Oisans 2730m d’altitude © photo perso
ETENDRE LES AILES DE L’AIGLE
Pour la FFCAM (la Fédération Française des Clubs Alpins et de Montagne), la question de l’architecture des refuges alpins est d’actualité. Le besoin de rénover et d’agrandir les équipements d’altitude est concret. Certains refuges sont vétustes et demandent des renforcements structurels pour garantir la sécurité du site et de ses occupants. Il y a aussi les besoins liés à l’affluence touristique. Certes, les refuges sont, par leurs positions isolées et difficiles d’accès, plutôt épargnés des politiques de développement touristique massif qui sévissent sur d’autres paysages, mais les cabanes sont tout de même soumises à une affluence importante.
En 2014, j’ai assisté à Grenoble, à une conférence de Jacques Felix-Faure, architecte de l’Atelier 17C, qui évoquait la réalisation conflictuelle et passionnante du projet de rénovation du refuge de l’Aigle, situé au cœur du massif des Ecrins (3450m d’altitude).
Dans son récit, il racontait 10 ans de polémique autour du projet et la montée au créneau d’une association de guides et d’alpinistes pour défendre le refuge. Le combat portait sur des arguments simples et valables : le respect du patrimoine alpin dont la cabane était le symbole et qu’ils voulaient classer au titre des monuments historiques. Riche d’une histoire singulière, la cabane, montée en 1910 par des pionniers, était caractéristique de refuge de montagne : une pièce unique en bois équipée d’un mobilier sommaire, un lieu pauvre en apparence mais un robuste abri à l’intérieur duquel les liens se créent et la convivialité et le partage agissent en maitres mots.
L’attachement aux refuges est aussi renforcé par l’effort, à chaque fois renouvelé pour l’atteindre. Quand les conditions météorologiques se gâtent, le refuge est le lieu de paix, l’asile inattendu. Cette ambiance mythique participe à l’ancrage d’une culture alpine que souhaitent défendre tous ceux qui l’ont goûtée.
La négociation a porté ces fruits en réconciliant toutes les parties autour d’un projet faisant consensus. Ont été discutés l’implantation du nouveau refuge à la place ou à côté de l’ancien, le volume du bâtiment, sa capacité d’accueil, son aménagement. En définitive, le nouveau refuge est une homothétie de l’ancien, plus grand avec ses 30 places (au lieu des 18 existantes) et complété de nouveautés confortables : sas d’entrée, toilettes intérieures, une cuisine pour les gardiens, deux dortoirs collectifs et une salle à manger commune.
- La chalet historique – Refuge de l’Aigle
- Refuge de l’Aigle – Massif des Ecrins 3450m d’altitude par Atelier 17C
- Maquette du projet – le chalet historique encore visible au coeur du nouveau
L’AMBITION DES HAUTEURS
Expérience d’architecte unique, la conception d’un refuge ne se résume pas à un conflit de valeurs entre insertion paysagère et respect du patrimoine, tant culturel (le code alpin) que naturel (le site). La technicité du projet est augmentée par le défi de la vie en autonomie que l’isolement rend obligatoire. Les ressources naturelles peuvent être transformées en énergie et stockées pour l’usage quotidien : électricité, eau chaude sanitaire. L’accueil du plus grand nombre de visiteurs demande également la mise en place d’un système de gestion des déchets (toilettes sèches).
Structurellement, le casse-tête existe aussi pour s’implanter solidement dans un environnement rocailleux fortement pentu. Les appuis se cherchent parfois loin et s’épaississent pour résister à la charge de la neige et aux mouvements de terrain.
Toutes ces contraintes contribuent à transformer les projets de refuge en un challenge excitant, où les possibilités de créativité sont grandes. Pour n’avoir découvert ce milieu que récemment, je comprends que certains architectes natifs des régions alpines fassent leurs spécialités de cette passion. Pour information, l’école d’architecture de Grenoble propose une filière « Architecture, Paysage et Montagne » dirigée par Jean-François Lyon-Caen.
Lors de sa conférence, Jacques Felix-Faure évoquait un argument supplémentaire : l’aventure d’une vie de chantier à plus de 3000m d’altitude. Les travaux étaient limités par la saison d’été, nécessitant une mise hors d’eau et hors d’air avant les premières neiges. Ponctué par les va-et-vient de l’hélicoptère, le chantier est plus qu’ailleurs soumis à des conditions météorologiques hostiles pour l’approvisionnement et le montage des éléments préfabriqués. Les visites de chantier se font après une randonnée de 5h d’approche en ski de randonnée, ce qui ne manque pas de souder les hommes liés au projet.
Si cette aventure vous intéresse, je vous invite à regarder la série de reportages montés par France 3. Aussi passionnants que le récit en live de l’architecte.
CIEL, MON TOURISTE.
L’expérience du refuge de l’Aigle est symbolique d’un combat classique dans l’histoire : les modernes contre les anciens. Dans ce duel, l’architecte peut être le médiateur bienheureux (pour peu qu’il soit bienveillant) en construisant un projet mesuré pour le site, le patrimoine à protéger et les usages modernes.
Ce sujet évoqué ici à propos des refuges existe pour toute construction située dans un milieu naturel rare. Une halte de forêt, une pagode sur une île du large, un hôtel au bord de la mer… La question se pose dès que l’homme découvre un environnement naturel magnifique et souhaite y passer une nuit, une journée, une vie, pour profiter de ce cadre.
A l’occasion du début de la saison des vacances d’été, Courrier International dédie le numéro de cette semaine au phénomène du tourisme international, avec ce chiffre (terrible) à l’appui : en 2014, 1,138 milliards de touristes ont fait un voyage à l’étranger, soit plus d’un habitant sur 7. En 1950, ils n’étaient que 22 millions. Le journal compare cette évolution du voyage à la révolution technologique. Le rapprochement virtuel d’un côté, physique de l’autre.
Le marché du tourisme est une menace qu’on ne présente plus pour l’équilibre naturel des environnements impactés. L’architecture de ces lieux de villégiature peut minimiser les dégâts en assurant une insertion paysagère réfléchie et un plan de composition urbaine mesuré. Il en va aussi de l’éthique des architectes qui sont en position pour argumenter le débat au moment de la conception des projets.
OVNI EN PLEINE NEIGE
Des résultats de ces projets sont déjà visibles en haute montagne, offrant un panel de styles architecturaux variés. Certains revisitent les codes de la traditionnelle cabane en bois, posée avec poésie sur les sommets (mes préférés), d’autres s’offrent des trips plus cosmiques, quand le refuge des Cosmiques justement joue sur le patchwork coloré.
Bien sûr tous les projets n’ont pas les mêmes enjeux d’image et de taille. Le refuge du Goûter, par exemple, est une étape obligatoire pour l’ascension du mythique Mont Blanc par la voie normale. N’ayant eu de cesse de s’agrandir depuis sa première cabane en 1859 construite pour 5 personnes maximum, le dernier projet inauguré en 2013 peut accueillir 120 places, capacité volontairement limitée pour maitriser la fréquentation de la voie (chaque année, 7000 à 10 000 skieurs ou alpinistes tentent l’ascension du Mont-Blanc).
Je n’ai pas l’intention de faire leçon sur le bon goût, mais certaines images m’interrogent quand à leur discrétion et leur insertion paysagère. Si certaines métaphores séduisent sur l’idée ou sur le papier, que devient le projet une fois confronté à l’immensité et la brutalité des sommets qu’il côtoie?
L’architecture est la trace laissée par l’homme dans la nature immuable. L’émotion suscitée par cette rencontre nait du rapport d’échelle entre l’immense et le tout petit. Quand au détour d’un col, la perspective s’ouvre sur un refuge, quel serait l’effet d’une rencontre du troisième type avec un ovni hors propos.
La question se pose pour la forme du bâtiment, mais aussi sur ses matériaux. Outre l’impact écologique que peuvent avoir certains revêtements non-naturels, l’effet visuel peut dénoter dans un environnement aux composants simples : roche, eau, bois.
En somme, je demande à voir et je demande à faire. A quand le prochain concours libre pour un refuge alpin ?
Le petit son de l’article : Nancy Sinatra et Lee Hazlewood – « Summer Wine »
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