Dans la plupart des esprits, le mois d’août est considéré comme le mois de la pause estivale, pourtant rare sont ceux qui s’éloignent réellement quatre semaines de leur boulot. Heureusement l’été déploie ses délices même au travail. Ainsi, comme chaque année, je profite du téléphone en sourdine pour écouter à l’agence les rediffusions de la grille radio et rattraper le retard que j’ai accumulé dans mes émissions préférées. Parmi celles-ci, trône l’émission Les nouvelles vagues sur France Culture, l’émission culturelle de Marie Richeux.
Pour ceux qui ne la connaitraient pas, je développe son concept : l’équipe choisit un sujet, le plus souvent sociétal et/ou intellectuel, et croise les regards en développant chaque jour le sujet à partir d’un angle et d’une discipline différente. L’épisode que j’ai écouté hier avait pour sujet l’élan collectif et a résonné comme un écho direct avec l’article d’APG sur les nouvelles générations d’architectes.
Le plateau réunissait Julien Beller, architecte à l’origine du projet du 6B, ancien immeuble de bureaux de 7000 m2 à Saint Denis transformé en espace de création et de diffusion abritant 161 résidents, et Yohan Til, l’un des co-fondateurs du collectif Soukmachines et qui participe du projet de reconversion éphémère des bâtiments du Pavillon du Docteur Pierre à Nanterre, en espace de travail. A travers ces deux expériences, l’émission questionne l’énergie de l’élan collectif quand il s’agit de construction et d’habitation.
6B ET SOUKMACHINES
Il est facile de comprendre comment la découverte d’un lieu peut faire naître une émulsion d’idées et d’envies, mais à la suite de l’élan initial, le projet doit vivre et se défendre devant pas mal de problématiques.
Parmi ces problématiques, se pose la question de la légalité et de la légitimité. Le projet du 6B est régi par l’association du même nom qui dispose d’un prêt à l’usage ordonné par le propriétaire du lieu, un industriel privé. Installé depuis 2010, le collectif a su instaurer son aura auprès des collectivités locales et a transformé le 6B en un lieu incontournable. En organisant expositions et fêtes, le 6B est devenu l’équipement culturel manquant au quartier. Situé dans le périmètre de la ZAC Neaucité, le 6B s’est intégré dans les projets urbains et dialogue aujourd’hui avec l’équipe d’urbanistes de l’Agence Nicolas Michelin & Associés – ANMA pour la réhabilitation du quartier.
Le Pavillon du Docteur Pierre à Nanterre est une opération un peu différente, car limitée dans le temps. La convention d’occupation comporte une date de libération des locaux à l’issu du mois d’octobre (il s’agit donc d’une opération éphémère). L’ancienne usine de dentifrice s’offre donc un dernier élan de vie en abritant ces 31 travailleurs résidents.
ÉTATS FÉDÉRÉS
Pendant la durée de son existence, le projet vit en s’inventant de l’intérieur, à plusieurs, toujours à l’écoute des ambitions de chacun. Les deux intervenants témoignent chacun qu’il n’existe pas de méthode à proprement parler pour fédérer un groupe. La motivation de participer et de vivre ensemble, différemment, plus socialement, suffit à entretenir l’élan dynamique. Pour cet élan, les seuls ingrédients précieux à apporter sont l’espace et le temps accordé au dialogue.
Avant tout lieux de travail, les journées se passent dans la concentration nécessaire aux activités professionnelles de chacun des résidents, mais le bâtiment s’anime dès que le groupe se réunit dans les espaces communs, autour des fonctions partagées par tous : manger, se déplacer, faire la fête. L’esprit collectif est présent dès que des résidents reconnaissent une mutualisation possible de leurs projets et de leurs moyens. : partager un espace d’exposition, des moyens de production, une salle de projection. Ce sens du partage et de la vie en société ne reste pas concentré sur les nécessités de la vie interne, mais explore aussi les possibilités de connexion avec le quartier.
Le groupe délégué à la gouvernance du projet se réunit toutes les semaines pour discuter des développements et du devenir du lieu. Il adopte une méthode, que Julien Beller définit en deux mots que je trouve très intéressants : un travail ascendant (plutôt que descendant) et une démarche incrémentaliste (préférer modifier un processus par des petits changements réguliers que par une grande révolution). Ces deux notions développent chacune l’idée que le projet ne vit pas avec des perspectives établies pour le futur, mais se projette avec flexibilité en faisant remonter les nécessités locales de la ville et de la société en mouvement, pour réévaluer le projet en cours de route.
Pour ces deux expériences, les seules difficultés relatées ont trait à la réglementation imposée par le code de la construction et de l’habitation, (notamment pour l’accueil du public) à laquelle nul espace n’échappe, et les recherches de fonds. L’argent, éternel nerf de la guerre.
Une fois encore, le récit d’expériences de projets collectifs est une occasion très intéressante pour penser la construction sociale et globale d’un projet. L’énergie et l’élan collectif permettent de multiplier les intelligences et d’ouvrir le projet vers des voies plus larges : faire vivre un bâtiment, réhabiliter un patrimoine, dynamiser une vie sociale, créer des liens. Rien à dire, beaux projets !
Le petit son de l’été : Shake Shake Go – « Doors to heaven »
Une réflexion sur “// L’ELAN COLLECTIF”