Mardi 21 juillet 2015, Agreste, le bulletin statistique du Ministère de l’Agriculture, a publié ses derniers chiffres dans un rapport sur l’utilisation des terres agricoles. Le Moniteur s’est empressé de relayer ces chiffres dans un article, car le constat est sans appel : en moyenne, depuis 2006, 70 000 hectares de terres agricoles sont perdues chaque année, en grande partie au profit de la construction de logements neufs. Le sujet est loin d’être nouveau (cf. rapport de 2009 de l’Agreste), et depuis les lois sur le Grenelle de l’Environnement (2009-2010), les élus, les acteurs de la construction et les services de l’État sont conscients de cette réalité : on construit trop et mal, aux dépends des terres agricoles. Si l’État tente depuis plusieurs années de mettre en place des outils qui cadrent et ralentissent cette consommation d’espaces dédiés à l’agriculture, les habitudes en matière de construction et d’achat de logement n’évoluent pas, ou très peu, de sorte que le phénomène se stabilise mais ne décroît pas. On continue toujours à construire des logements individuels (responsables de 46% de l’artificialisation des sols sur la période 2006-2014), loin des villes (en raison du coût des terrains), sans réflexion sur le modèle d’urbanisme produit. Les conséquences de cette frénésie sont essentiellement environnementales, sociétales, mais aussi, et cela est moins visible ou reconnu, paysagères.
Il faut savoir que la construction de logements neufs, a fortiori en dehors des secteurs urbains, entraine une imperméabilisation importante des sols (parking, routes, bâtiments, etc.) qui a des conséquences sur le ruissellement des eaux de pluie et l’hygrométrie des sous-sols, elle agit également la multiplication des déplacements en automobile. Consommer de l’espace agricole conduit également au bouleversement de certains écosystèmes et équilibres environnementaux (corridors écologiques, zones humides, etc.). Même si l’agriculture française est loin – dans son ensemble – de former un modèle de vertu écologique, la raréfaction des terres agricoles conduira, à l’échelle de l’ensemble du territoire, à des bouleversements durables (dépendance agricole délocalisée, absence de diversité des cultures, impossibilité du développement de modèles d’agriculture locaux et respectueux de l’environnement, etc.)
Mais la consommation ne s’arrête pas là. En refusant d’interroger les modèles d’urbanisation que nous appliquons, et en particulier le modèle du lotissement de maisons individuelles, la société engendre une ville trop étendue , froide, sans âmes et répétitive où l’individu prend le pas sur la notion « d’urbanité ». La ville n’est plus pensée comme une concentration de « nous », mais comme une juxtaposition de « moi sans eux ». On considère comme ordinaire le fait de transformer un champ en lotissement et on reproduit sans relâche des modèles usés et abusés de maisons à bas coût.
Ce modèle d’urbanisation participe largement à la dégradation notoire des paysages naturels et à la transformation incontrôlée des villages et bourgs ruraux en « milieu périurbain » (cf. ce document de l’INSEE sur la croissance périurbaine de ces quarante dernières années). Cette dernière conséquence est moins acceptée, car elle relèverait uniquement d’une nostalgie pour la ruralité française d’avant-guerre, j’invite cependant les esprits récalcitrants à parcourir un peu la campagne pour comprendre ce phénomène pourtant bien visible : chaque année, depuis 2006, nous détruisons 70 000 hectares de paysage.
Ces chiffres qui peuvent paraître à certains banals, à d’autres, alarmistes et sans fondement, sont en réalité l’une des problématiques les plus importantes de l’urbanisme du 21e siècle : comment construire sans détruire ? Les dernières lois sorties sur le sujet tendent à interdire les extensions urbaines, et donc à limiter les constructions neuves aux enveloppes urbaines existantes (l’emprise actuelle des villes dans leur surface bâtie). Ces politiques devraient conduire les villes à se focaliser sur leurs centres anciens et à engager de véritables politiques ambitieuses de restructuration urbaine. Pourtant, on continue à construire des lotissements, à bitumer des champs et à consommer de l’espace agricole. Preuve, par le chiffre, que le décalage entre la théorie et la pratique peut s’avérer pertinent : ce ne sont pas les chiffres qu’il faut changer, mais les mentalités.
Pour aller plus loin
L’étalement urbain en France : synthèse documentaire
Futurs périurbains : controverses et perspectives
Une réflexion sur “// QUAND LA MAISON CONSOMME DES CHAMPS”