// PEUT-ON DÉMOLIR LES ÉGLISES ?

Articles liées à la ville en débat sur site et Cité, atelier d'écriture pour jeunes architectes

Depuis quelques mois, je travaille à l’agence sur des opérations de renouvellement urbain dans les centres anciens et suis fréquemment interrogé par les élus sur des projets de démolition du patrimoine. L’article de CDu sur Palmyre a fini de me convaincre d’écrire sur le sujet, d’autant que j’ai réécouté à cette occasion un reportage de l’émission de La Fabrique de l’Histoire sur France Culture (de mai 2015) qui évoquait plusieurs églises du XIXe siècle récemment démolies dans le département du Maine-et-Loire. Ce sujet soulève de nombreuses questions autour de la préservation, la conservation et la restauration du patrimoine religieux, dont nous héritons tous aujourd’hui et qui ne répond parfois plus aux usages contemporains. Que faire de ce patrimoine légué? Doit-on en garder une trace, le remplacer, le restaurer ? Je vous propose quelques pistes pour nourrir le débat.

 

LE CHAMP DES POSSIBLES

A la question « peut-on démolir une église ? », je préfère ne pas vous tromper, la réponse est « oui ». Toutes les églises ne sont pas protégées en France et il suffit au propriétaire de déposer un permis de démolir pour obtenir légalement le droit de faire table rase des vieux murs. Certes, de nombreux « outils de protection » existent dans les documents d’urbanisme ou avec la législation sur les Monuments Historiques, mais cette approche règlementaire ne touche pas tous les édifices, et heureusement, car ils sont trop nombreux et d’intérêts et de qualité variés. La question n’est donc pas règlementaire en tant que telle, il s’agit plutôt, selon moi, d’un débat de fond sur les notions de patrimoine et de culture.

 

LE PATRIMOINE COÛTE CHER!

Les exemples évoqués dans le reportage de la Fabrique de l’Histoire concernent des communes de la région des Mauges dans le sud-ouest du département du Maine-et-Loire. Les situations sont similaires et les arguments avancés pour aboutir à la destruction des édifices sont souvent les mêmes. Le premier d’entre eux concerne leur état sanitaire (leur état de conservation). Les édifices en mauvais état nécessitent souvent une série importante de travaux de restauration qui peuvent coûter une somme sérieuse aux collectivités. Car le problème est là, ce sont les Communes qui sont propriétaires des bâtiments fardeau. Depuis la loi de séparation des biens de l’Église et de l’État de 1905, de nombreux bâtiments sont aujourd’hui à la charge des collectivités, quelle que soit leur taille.

L’église de Saint-Pierre-aux-Liens à Guesté (49), pendant sa démolition

On peut comprendre qu’un maire, à qui l’on présente un estimatif de travaux correspondant à plusieurs années d’investissement pour la Commune, s’interroge sur la pertinence du maintien de l’édifice. D’autant que l’édifice en question ne sert que pour un office mensuel, quand il n’est pas complètement abandonné ! Si l’édifice est encore fréquenté, la reconstruction d’une église contemporaine qui répond mieux aux usages liturgiques actuels semble être une solution avantageuse pour la collectivité et pour les fidèles. Ce fut le cas à Saint-Aubin-du-Pavoil ou Saint-Georges-des-Gardes. Les architectures proposées sont modestes, le changement radical.

 

MODERNITÉ ET PROGRÈS

Autre argument avancé par les partisans de la démolition : l’évolution de la société. La déchristianisation entamée au XVIIIe siècle touche aujourd’hui son point d’orgue et les églises ne sont plus fréquentées comme elles l’étaient auparavant. Il existe d’ailleurs d’autres bâtiments aux usages « périmés » qui ont été démolis (moulins, lavoirs, bâtiments agricoles, etc.) : l’architecture évolue en interaction avec la société.

Je suis d’accord, il faut parfois interroger les usages d’origine d’un bâtiment par rapport aux évolutions sociétales, mais je ne comprends toujours pas le rapport avec la démolition. Le problème est social, pas architectural. Cela me rappelle les projets de rénovation urbaine menés par l’ANRU (Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine) qui démolissait à tout de bras des barres d’immeubles, sans pouvoir traiter la question sociale. Pour rénover la société, il suffirait alors de démolir les bâtiments qu’elle a construits ?

L'église de Saint-Aubin-du-Pavoil (Segré dans le 49) avant sa destruction

L’église de Saint-Aubin-du-Pavoil (Segré dans le 49) avant sa destruction

Si je résume, l’abandon, la dégradation et la désuétude constituent les principaux arguments du débat. Je remarque que ces trois maux ont pour auteurs ceux-là même qui ont en charge l’édifice, c’est-à-dire ceux qui veulent le voir démoli. L’entretien du patrimoine bâti est couteux s’il n’est pas fait régulièrement, et les exemples de reconversion ou transformation d’édifices religieux ne manquent pas en France ou même en Europe. Il y a quelques jours encore avait lieu à la Cité de l’Architecture et du Patrimoine une exposition intitulée « Un édifice, combien de vies ? La transformation comme acte de création ». Quand on veut détruire son église, il suffirait donc d’affirmer qu’elle coûte cher et qu’elle ne sert plus. La méthode est discutable…

Nouvelle église de Saint-Aubin-du-Pavoil (Segré dans le 49)

Nouvelle église de Saint-Aubin-du-Pavoil (Segré dans le 49)

LE BON VIEUX PATRIMOINE

Aux arguments de dégradation et de manque de performance (usages des lieux, organisation de l’espace intérieur, etc.), les défenseurs du bâti ancien répondent avec deux notions qui font autorité, et que j’emploie souvent : le patrimoine et la mémoire. Aujourd’hui, il faut le reconnaitre, tout est patrimoine. Je parle ici de patrimoine historique, dans le sens défini par Françoise Choay dans son ouvrage L’allégorie du patrimoine, il s’agit d’un héritage culturel « un fonds », une « accumulation continue d’objets diversifiés » appartenant au passé. Les églises représentent un patrimoine historique bâti important en France, et sont chargées d’une symbolique que les médias rattachent souvent à l’affiche de la campagne présidentielle de François Mitterrand en 1981 (le clocher du village), mais qui renvoie surtout à une histoire du christianisme, à l’histoire de nos villes et plus largement à un fait culturel majeur de nos sociétés : la religion. Les églises démolies dans le Maine-et-Loire dataient toutes du XIXe siècle. Ce siècle vaut-il moins que les autres ? Je l’ignore, je pense simplement que le patrimoine fait notre histoire, et que tout jugement « hiérarchique » de son intérêt, conduisant à la destruction, est dangereux.

 

LA MÉMOIRE QUI FLANCHE

Le patrimoine historique est d’une certaine manière indissociable de la mémoire et des souvenirs qui sont liés dans l’imaginaire collectif ou individuel à ces édifices. Une église c’est à la fois un lieu de vie, un moment de l’histoire de l’architecture, un repère visuel, une manifestation du génie humain, et, plus modestement, des souvenirs humains. Se pose alors la question de la préservation de la mémoire, qui ne passe pas nécessairement par la conservation de l’édifice, ni par sa démolition, mais par des formes de compromis qui s’imposent lorsque la pérennité d’un site est en danger. Malheureusement, j’ai régulièrement le sentiment que ce type de débat se solde par des positions extrêmes, souvent stériles : la mémoire et le patrimoine appartiendraient au monde des réactionnaires, tandis que le progrès et la modernité incarneraient le feu sacré de l’avenir.

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LE GESTE QUI FÂCHE

Lorsque les révolutionnaires de 1789 sont entrés dans une folie destructrice vis-à-vis du patrimoine religieux, certains étaient intéressés par l’argent, mais beaucoup l’ont fait par idéologie. A ce moment-là, l’église incarnait un symbole et une image qui renvoyait à une époque et une organisation sociale que l’on souhaitait abolir et détruire. Détruire l’édifice, c’est donc bien détruire la mémoire, l’identité, le patrimoine historique. CDU l’a très bien expliqué dans son article sur le drame du site archéologique de Palmyre en Syrie, il y a eu dans cette destruction une volonté – par Daesh – d’abattre un symbole et de véhiculer une certaine image de la peur.

Ces exemples nous montrent clairement que la démolition n’est pas un acte anodin, et que malgré les arguments techniques, économiques ou anthropologiques avancés par certains, le fait de démolir ne reste jamais sans conséquences. La démolition motivée par une idéologie peut être condamnée (a fortiori si on ne la partage pas), et en ce qui me concerne, je la condamne, mais elle procède d’une certaine logique (on veut détruire le symbole donc on détruit l’édifice). Ce qui me gêne le plus dans les exemples abordés dans le reportage, c’est précisément que dans un pays en paix, où la malveillance idéologique n’a pas lieu d’exister, une certaine forme d’ignorance a pris place, pour des conséquences identiques. Une église ne se consomme pas comme un vulgaire objet qui aurait trop servi et qu’on jetterait. Peu importe que l’édifice soit un patrimoine bâti remarquable ou le symbole de la mémoire collective du village, la démolition d’un édifice dans lequel des hommes se sont projetés ou ont vécu, est un acte violent et autoritaire qui dénature notre héritage culturel, notre bien commun. Bâtir est un acte culturel, démolir, sans avoir cherché d’autres solutions, un acte idéologique ou un choix de facilité.

Je déplore que certains élus se soient laissés séduire par la modernité destructrice, là où de nombreuses alternatives de reconversion existent. Je condamne autant la malveillance que les décisions prises dans l’ignorance, et je reconnais aussi que les architectes ont un rôle à jouer dans ce travail de fond. Chaque jour, dans leur pratique, ils devraient tenter de démontrer à leurs interlocuteurs la pertinence d’un acte de création et de transformation, en lieu et place de la destruction.

 

// Grégoire Bruzulier

Pour aller plus loin :

Article de Guy Massin Le Goff, conservation du patrimoine en Maine-et-Loire

Site internet de l’observatoire du patrimoine religieux

Article sur les reconversions d’église au Québec sur slate.fr

Le petit son de l’article : Nocturne de Frédéric Chopin (extrait)

 

7 réflexions sur “// PEUT-ON DÉMOLIR LES ÉGLISES ?

  1. Bonjour,

    il semble que le patrimoine devienne/soit un bien de consommation comme un autre. Comme tu l’écrit, la destruction des église est la plupart du temps une solution de facilité, alors que des solutions de réhabilitation et de reconversion existent. Ça ne sert plus alors on jette. Il serait d’ailleurs intéressant de connaître le coût de toutes ces destructions. Je ne suis pas spécialiste, mais j’imagine que démolir des édifices en pierres de ces dimensions là ne doit pas être une mince à faire et doit avoir un coût très important. Démolir une église pour faire des économies sur sa réhabilitation et son entretien semble une vision à bien court terme.
    De plus, à l’heure de l’écologie et de la nécessaire économie des ressources, démolir des édifices en pierre et construire des immeubles en béton ne semble pas une super idée!

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    • Merci Rafaël pour ton commentaire! En effet, y compris sur le plan technique et écologique, la destruction ne semble plus être la solution la plus évidente…Pourtant nombreux sont encore ceux qui pensent que la dynamique urbaine, le changement et l’innovation passe par la table rase du passé. La confrontation est donc bien idéologique et pas technique!

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  2. Je partage totalement ton analyse. Tout immeuble qui a abrité la vie humaine ne peut être détruit sans que soit pris en compte l’affect qui l’habite.
    Des immeubles ont été détruits, coupés, réduit dans le quartier d’habitat social où je travaille. les conditions de vie n’y ont pourtant pas vraiment changé, en attendant les résidents n’ont pas quitté leurs logements de gaieté de cœur et même d’anciens habitants du quartier ont été émus de voir un pan de leur vie disparaître. On ne peut sans doute pas tout laisser en l’état, en particulier quand des erreurs urbanistiques ou architecturales ont été commises mais il faut cependant prendre le temps de ménager ceux qui ont vécu. Les pierres les moins belles n’en sont pas moins les témoins de nos courtes vies humaines…

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