// POUR UN ARCHITECTE PLUS DÉSIRABLE

Pour un architecte plus désirable site et citéArticles liées à la rubrique L'architecte sur site et Cité, atelier d'écriture pour jeunes architectes

J’ai été invitée ces dernières semaines par mon ami Grégoire, à me pencher sur la loi « Création artistique, architecture et patrimoine » actuellement en cours de lecture au parlement. Cette nouvelle loi questionne à la fois la place de l’architecte au sein de la société et son lien avec la création, tout un programme qu’il est difficile d’ignorer. Deux éléments ont  particulièrement retenu mon attention: l’abaissement du seuil à 150m² au lieu de 170m²  « au-delà duquel il est obligatoire de recourir à un architecte » pour les constructions de maisons individuelles, ainsi que l’obligation d’aménagement des lotissements par un architecte. Ces deux règles m’ont amenée à m’interroger sur ces nouvelles obligations imposées aux particuliers.

C’est un fait que nos campagnes sont mitées par des constructions sans saveurs ni qualités, mais qu’en est-il réellement du lien et de la confiance accordée par les concitoyens aux architectes ? Au cours de ces interrogations, deux rencontres m’ont confortées dans l’idée que l’image que se font les gens de la profession reste pétrie de méfiance et de scepticisme. Cette loi changera-t-elle les regards ou les confortera-t-elle ? 

LE HUIT CLOS DINATOIRE

Alors que je dinais tranquillement chez une amie la semaine dernière, il m’a fallu raconter un peu ma formation et mon métier aux autres convives. Après avoir exposé brièvement une partie de ma vie, deux des personnes autour de la table m’ont fait part de leur expérience, assez déplorable je dois le dire, avec deux architectes. Le premier est actuellement confronté à un architecte local, de notre jolie campagne, dans le cadre de la construction de la salle des fêtes de la commune pour laquelle il est conseillé municipal. L’archi en question propose des plans où s’accumulent angles, coins et recoins car d’après ce que j’entends « le cube est sa signature ». L’élément phare de la construction est une baie vitrée plein sud sans pare-soleil. A nos latitudes, il risque d’y faire légèrement chaud l’été.

La seconde a fait appel, voilà plusieurs années sur les conseils d’une connaissance, à un confrère, pour la transformation d’une petite maison dont elle a héritée, en trois appartements. La mission était d’élaborer les plans et de suivre le chantier. Après de nombreux litiges (humidité en cours d’apparition, éléments non livrés, communication chaotique), elle ressort de cette expérience déçue, usée, et ce n’est pas fini !

Tout deux me décrivent deux hommes assez fermés, avec qui il est presque impossible de communiquer et qui refusent d’entendre ce qu’on leur demande. Ces deux situations révèlent un malaise profond que je ressens maintenant depuis plusieurs années, à l’égard de la profession. Une profession à qui l’on attribue les pires constructions, les plus minables volontés et évidemment les plus grosses dépenses. Et des professionnelles avec qui on se refuse de rentrer en communication car impossible à comprendre.

UNE GRANDE INTERROGATION

Actuellement, nous savons que quand Monsieur et Madame M font bâtir pour eux et leurs 5 filles, ils restent en dessous du seuil obligatoire de 170m² pour éviter de confronter leur projet à un architecte. Quand le vieil oncle agriculteur veut s’assurer une retraite un peu plus confortable, résigné à ne pas pouvoir vendre sa ferme, il ne trouve d’autres solutions que de morceler ses terres pour y construire cinq petits pavillons sans charme et par là même créer un lotissement, qu’il fait construire par son voisin maçon.

Maisons pavillonnaires. Tarn et Garonne

Maisons pavillonnaires. Tarn et Garonne

Ainsi ce sont des maisons individuelles qui poussent depuis de nombreuses années comme des petits champignons, transformant nos campagnes, à grands coups de grignotage. Aspiration ultime de toute famille qui se respecte, l’accès à la propriété et à la maison individuelle restent le modèle idéal largement développé par les politiques depuis les années Giscard d’Estaing et conforté par la volonté de tous. 

Ce modèle de développement est pourtant contradictoire avec les principes de développement durable, d’économies d’échelles et de consommation d’espaces qui nous touchent aujourd’hui. L’architecte a donc bien un rôle à tenir dans ce tournant que doit prendre notre société dans le dessin du territoire mais est–ce en abaissant de quelques mètres carrés la limite constructive et la conception des lotissements, qu’il peut y répondre ?

Il devrait être le garant des spécificités locales, de la préservation des paysages, tout en étant innovant et en respectant les territoires. Mais n’est-on pas en train de renforcer le rejet des uns en voulant imposer la connaissance des autres ? N’est-on pas en train de proposer un moyen de museler les clients, de les forcer à se soumettre au lieu de créer des outils de partenariat ?

UNE PETITE CARICATURE, HISTOIRE DE PRENDRE UN PEU DE RECUL

Si je caricature les nombreuses expériences et échos qui arrivent à mes oreilles au sujet de l’engagement d’un architecte dans la construction d’une maison individuelle cela donne ça : les gens, s’ils le peuvent, évitent de faire appel à un architecte parce qu’eux-même pratiquent l’architecture quotidiennement et depuis toujours. Ils se refusent à financer une prestation intellectuelle qu’ils jugent superflue puisqu’ils ont, en général, une idée assez précise de ce dont ils rêvent. Et ils sont confortés dans leurs idées par la vulgarisation télévisuelle des règles de l’aménagement intérieur moderne.

Face à eux, des professionnels de la construction possédant un savoir et des codes qu’ils n’hésiteront pas à imposer même si ces principes vont à l’encontre de la volonté du client. Des professionnels souvent déconnectés du quotidien et du modeste. Le dialogue est donc rompu, avorté dans l’œuf. Jamais amorcé. Des professionnels contre qui il est parfois difficile de s’ériger, car ces derniers utilisent un jargon qui leur est propre et surtout… possèdent un bagage technique, intellectuel, esthétique contre lequel il peut sembler impossible de lutter.

L’architecte semble posséder un large savoir qui lui permet parfois de s’imposer avec force, le client n’a d’autre moyen pour lutter que de prendre la fuite. En réalité, le problème n’est-il pas aussi que le client manque cruellement de culture architecturale pour être suffisamment armé pour engager un réel dialogue ? Et est-ce que l’architecte prend le temps d’être un bon pédagogue ?

ET ENFIN DES FAITS !

J’habite actuellement en région Midi-Pyrénées, et plus exactement sur le territoire du bas Quercy-Pays de Serres, là où, depuis toujours des hommes et des femmes ont construit avec le matériau qui était pour eux le plus accessible : la terre. Partout, des maisons en briques de terre crues ont été érigées mais également en bauge ou en torchis. « Bien chapeautées et bien bottées », elles sont dans l’ensemble toutes correctement orientées, non pas, par rapport à la route, mais en fonction de la course du soleil. Ce sont des maisons centenaires construites par des artisans qui ont élaboré au fil des siècles, un solide savoir-faire mais surtout un vrai savoir-vivre. Les styles varient en fonction du périmètre de travail des artisans, mais dans l’ensemble ce sont des maisons adaptées aux spécificités locales, aux modes de vies des habitants, au climat et aux intempéries.

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La terre possède de nombreux avantages d’économie d’énergie : c’est un matériau bio-sourcé,  universel (un tiers de la population mondiale vit dans une habitation en terre), abondant, dotée d’une grande inertie thermique et peu polluant par dessus le marché. Sa mise en œuvre très diversifiée permet une grande variété architectonique et esthétique. Sa transformation en matériau de construction dépense très peu d’énergie et est relativement facile à mettre en œuvre.

Malheureusement, la modernité du siècle dernier a, ici comme ailleurs, élevé une méfiance tenace à l’égard de la terre et des savoir-faire constructifs traditionnels, les associant à un système arriéré. Aujourd’hui un retour vers la terre et la paille se fait sentir cependant les savoir-faire ont été perdus. Il existe quelques scops et quelques associations, un ou deux architectes qui promeuvent ce système constructif pour toutes les qualités architecturales qu’il possède, mais il s’agit pour eux d’une lutte quotidienne face au scepticisme et aux railleries. 

VERS UN PATRIMOINE A FABRIQUER EN COMMUN?

Je fais appel à cet exemple car il explicite bien ce seul fait : le manque de culture architecturale de notre société. Si manquer de culture cinématographique ou musicale n’a pas de réel impact sur notre monde moderne, ne pas être sensibilisé à l’architecture et à l’urbain semble en avoir une et pas des moindres. Aujourd’hui manger, se déplacer, consommer et enfin habiter a des conséquences nettes, que l’on peut observer chaque jour sur nos territoires à petite et grande échelle. L’architecte ne devrait-il pas être un pédagogue et non pas seulement un constructeur ? Les exemples de projets individuels réalisés en partenariat avec des architectes, qui sont à la fois beaux, économiques, respectueux et intelligents sont nombreux. Ce sont des réussites car un rapport de confiance a pu s’établir entre le professionnel et le client couplé à un travail d’accompagnement et de transmission. Des projets souvent respectueux des territoires et des terroirs, tout en étant innovants.

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Ce ne serait donc peut être pas tant la forme et les nombres de m² la solution du problème, mais plutôt la négociation et la compréhension des besoins. Pour ce faire, n’est- ce pas la formation des professionnels qu’il faudrait réinterroger ? En tout cas, j’attends avec impatience la transformation plus harmonieuse de nos paysages.

APG//

Le petit son de l’article : Frank Zappa –  » Valley Girl »

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