// ET SI ON AIMAIT LES ZONES PAVILLONNAIRES…

Modèle d’urbanisme conçu ex-nihilo qui ne se raccroche à la ville existante que grâce à la voie d’accès

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Hier s’est tenue à Paris une conférence au Conseil Économique, Social et Environnement (CESE) qui avait pour thème « Vivre et habiter le périurbain aujourd’hui et demain ». Je souhaiterais rebondir sur le thème de cette conférence et prolonger la réflexion initiée par APG dans son dernier article pour prendre le temps d’interroger la forme la plus classique du périurbain : la zone résidentielle pavillonnaire.

De nombreux intellectuels et architectes s’accordent à dire que ce modèle d’urbanisme a produit des paysages homogènes et sans vie, des formes architecturales répétitives et sans intérêt. Au-delà de la critique de ces quartiers, la question doit être posée : comment intégrer dans des processus de renouvellement urbain ces quartiers qui n’intéressent personne dès lors qu’il ne s’agit pas de les fustiger ? Si beaucoup reconnaissent une certaine neutralité dans les paysages engendrés par les vastes étendues de pavillons des périphéries, il n’en reste pas moins que ces ensembles constituent aujourd’hui des morceaux de ville importants qui rythment le quotidien de nombreux péricitadins.

Pour compléter cette analyse, je ferai référence au point de vue de l’économiste et journaliste Bernard Maris, malheureusement assassiné le 7 janvier dernier, qui avait déposé chez son éditeur Grasset le manuscrit d’un livre inachevé. Ce livre non abouti fut publié à titre posthume en avril 2015, avec pour titre « Et si on aimait la France » ; il comporte un chapitre entier consacré à la « France urbaine et périurbaine », avec une approche plus sociale et économique qu’architecturale.

Quartier de "Chalandonnette", du nom du ministre Chalandon de Giscard qui a réformé les modalités de prêt immobilier pour permettre la construction de maisons individuelles

Quartier de « Chalandonnette », du nom du ministre Chalandon de Giscard qui a réformé les modalités de prêt immobilier pour permettre la construction de maisons individuelles

 

LE PÉRIURBAIN COMME MODÈLE D’URBANISME

Le périurbain, c’est par définition ce qui se trouve autour de l’urbain, autour de la ville. On désigne aujourd’hui par ce terme tous les quartiers à dominante d’habitat qui se construisent en périphérie des villes et accueillent majoritairement les classes moyennes, dans le parcours résidentiel classique.

Le phénomène est loin d’être nouveau et l’on considère que ce sont les réformes visant l’urbanisme sous la présidence de Valéry Giscard-d’Estaing (à partir de 1974) qui ont permis une certaine libéralisation du marché de l’immobilier et l’émergence de ce nouveau modèle d’urbanisme qui procède par « parcelle libre ». Le principe est simple et efficace : un promoteur immobilier (ou un porteur de projet quelconque) achète des terrains constructibles, les découpe en lots (découpage parcellaire ou remembrement) et les vend à des privés qui peuvent faire construire leur maison individuelle dessus. Ces fameux « lotissements » sont souvent accompagnés d’un règlement de lotissement qui vise à organiser les rapports de voisinage et la gestion quotidienne du quartier (où mettre les ordures ménagères, où garer sa voiture, comment implanter son abris de jardin, etc. ?)

Ce modèle eut un tel succès, qu’il constitue aujourd’hui la forme la plus importante en surface et en population des périphéries des villes. Loin de l’image bien ancrée des banlieues avec leurs barres HLM, les lotissements pavillonnaires ont envahi les campagnes, recouvert les vignes et les prairies et se sont développés dans une frénésie qui n’a connu comme dernière limite – momentanée – que la crise financière.

Les premiers pavillons de Versailles, visibles à droite et à gauche du tableau (ils sont au nombre de 6, 3 de chaque côté)

Les premiers pavillons de Versailles, visibles à droite et à gauche du tableau (ils sont au nombre de 6, 3 de chaque côté)

 

LA SOCIÉTÉ DU PÉRIURBAIN

Le pavillon fut inventé à Versailles à la fin du XVIIe siècle, lorsque le roi Louis XIV décréta que les nobles de la cour devaient avoir un pied à terre près du château. Il fit alors bâtir la ville de Versailles et de grands « pavillons » furent installés sur des terrains découpés avec leurs communs au fond du jardin. Un type architectural était né. Le développement des techniques de construction industrielles et l’accès plus facile à la propriété (le « lopin de terre du paysan » dit Bernard Maris), a conduit peu à peu le type à se transformer en modèle. Du modèle architectural choisi dans un catalogue au modèle d’urbanisme reproduit à toutes les échelles, il n’y avait qu’un pas.

Bernard Maris l’exprime avec clarté dans son livre, la banlieue pavillonnaire produit formellement un modèle d’urbanisme vide. Des rues dessinées pour desservir un maximum de parcelles et des aires de stationnement pour les automobiles, seul échappatoire des habitants des lieux pour accéder au centre urbain. Le périurbain n’offre ni services, ni commerces de proximité, rarement des équipements sportifs ou de loisir. La ville réduite à sa plus simple expression : une juxtaposition d’unités individuelles d’habitation.

Mais plus encore qu’un modèle formel, la banlieue pavillonnaire est devenue un modèle social : accès facile à la propriété, stabilité et refus de la mobilité, attachement au lieu, collection de voitures par ménage, etc. La juxtaposition des foyers fait-elle réellement « société » dans ces quartiers ? La ville périurbaine assure-t-elle un rôle de promotion sociale, d’échanges culturels ou valorisation des personnes ? Rien n’est moins sûr.

De l'urbanisme plat à la répétition architecturale : aucun espace public, aucun équipement

De l’urbanisme standardisé à la répétition architecturale : aucun espace public, aucun équipement

 

LE MODÈLE MÉPRISÉ

En 2010, Jean-Louis Borloo vendait aux Français le rêve d’une maison à 100 000€, prolongeant ainsi la complaisance des revenus moyens et faibles dans leur aspiration à devenir propriétaire. Là encore, le modèle montre ses limites : taxe foncière élevée, nécessité d’avoir une voiture, entretien du jardin et des clôtures, réfection de la couverture et ravalement de façades réguliers, précarité énergétique ; le modèle est loin d’être « économique ». Mais alors pourquoi en faire la promotion ?

Parce qu’il est rentable pour celui qui l’initie. Parce qu’il demande moins d’investissement qu’un quartier complètement équipé en services, et surtout parce que les gens qui y vivent ne font pas de bruit : pas d’émeute dans les zones pavillonnaires.

Le mépris ambiant qui règne vis-à-vis de ces quartiers est double : d’une part, un mépris social qui identifie dans la littérature, les films et la presse, ces quartiers à des secondes zones habitées par des « beaufs » (Bernard Maris lui-même emploie le mot), et d’autre part, un mépris des pouvoir publics qui n’investissent pas un centime (ou presque) dans ces quartiers, alors même que des sommes colossales sont dédiées aux rénovations urbaines des quartiers sensibles hérités des ZUP, ZUS, et autre zones.

Modèle type de lotissement, avec un travail sur la diversité des types d'habitat (individuel, groupé, collectif). La forma architecturale est plus vairée, mais l'urbanisme reste le même.

Modèle type de lotissement, avec un travail sur la diversité des types d’habitat (individuel, groupé, collectif). La forme architecturale est plus variée, mais l’urbanisme reste le même.

 

LE REGARD DE L’ÉCONOMISTE

Si Bernard Maris oppose ce modèle urbanistique et social à la France des villages, où la foule faisait société et la vie s’organisait autour des places publiques, il prolonge la réflexion à plus grande échelle en regrettant le mépris dont sont victimes les habitants de ces secteurs. Ils ne sont ni des urbains, ni des ruraux, ni des immigrés de nouvelle génération, ni des bobos, ils sont justement « dans la moyenne » et l’architecture qui leur est offerte, tout juste médiocre. Le problème soulevé par l’économiste, c’est précisément que ce sont en grande partie ces masses moyennes qui constituent aujourd’hui des réserves de voix électorales pour les partis extrémistes, ce sont aussi ces populations « conformistes » qui se désintéressent de la vie publique et ne vont plus voter. Sans donner de statistiques précises, Bernard Maris expose une thèse simple : la carence sociale ne se trouve pas nécessairement là où on l’attend. La zone pavillonnaire aurait tué, selon lui, le Français révolutionnaire et passionné. Dans ce modèle d’urbanisme, je l’ai déjà écrit, la ville n’est plus pensée comme une concentration de « nous », mais comme une juxtaposition de « moi sans eux ».

Bernard Marris l’exprime ainsi : « L’étalement, l’effrayante laideur du périurbain, le mariage de la voiture et du centre commercial, l’irruption d’Internet qui favorise encore plus l’isolement, l’absence de contact, sont en train de tuer tout ce qui pouvait faire unité, confiance, solidarité. »

Perspective sur une rue d'une zone pavillonnaire "nouvelle génération" avec un travail sur l'espace public

Perspective sur une rue d’une zone pavillonnaire « nouvelle génération » avec un travail sur l’espace public

 

ET SI ON LES AIMAIT…

J’ai grandi dans un quartier périurbain, au milieu des pavillons et des clôtures de thuyas. En tant que professionnel, j’ai initié ma pratique en tentant de déconstruire ce modèle qu’on nous avait imposé et qui nous collait tant à la peau. Mais après quelques années de pratique, je comprends qu’on ne déconstruit pas un modèle en le détruisant, il faut apprendre à le regarder, à le comprendre, et lui donner une chance de se transformer. L’erreur des architectes a été de croire que la ville « pavillonnaire » pouvait se faire sans eux, qu’elle ne méritait pas leur attention. L’erreur des politiques a été de croire que l’économie d’une ville et la réélection reposait sur le nombre de pavillons construits. L’erreur de l’Etat a été, jusqu’à présent, de déconsidérer un urbanisme qu’il n’a jamais voulu maitriser.

« Aimer les zones pavillonnaires », c’est un slogan un peu provocateur pour exprimer le besoin de réinventer ce modèle d’urbanisme, à partir des lieux qui existent aujourd’hui. Pourquoi ne pas implanter les écoles au milieu de ces quartiers ? Développer davantage de transports en communs pour rapprocher les habitants des lieux de travail et de consommation, inventer de nouvelles polarités urbaines au milieu des pavillons ? Supprimer la notion de clôture ? Le sujet peut paraître trivial et banal, mais il concerne plus de la moitié du territoire urbanisé.

La loi CAP (liberté de création, architecture et patrimoine), dont nous vous avons déjà un peu parlé, prévoit que l’intervention de l’architecte soit nécessaire pour le dépôt des permis d’aménager de lotissements importants. Certains confrères se sont déjà mobilisés sur ces questions et « font du lotissement » dans leur pratique. C’est un premier pas vers une prise de conscience de l’importance de l’implication de la profession en faveur de l’amélioration de ce modèle d’urbanisme. Les lignes bougent et la conférence d’hier le montre.

Il nous faut cependant aller plus loin que l’encadrement règlementaire des futurs lotissements. Les élus doivent pouvoir disposer d’outils de projet pour travailler sur tous les quartiers existants, autrement que par le sujet de la densification (projet BIMBY par exemple, par ailleurs très novateur) qui limite parfois la réflexion à l’aspect formel de la ville, plus qu’il n’interroge les phénomènes d’urbanité et la ville qui fabrique la société. Je n’ignore pas que les aspects sociologiques et anthropologiques des villes ne constituent pas un caractère générateur de profit, nous constatons cependant depuis le phénomène des grands ensembles, que l’architecture, la ville et la société sont parfaitement imbriquées, pour le meilleur, comme pour le pire. A bon entendeur.

// Grégoire Bruzulier

 

 

Pour aller plus loin :

Article de Martin Vanier, géographe spécialiste du périurbain conférencier invité hier au CESE.

Résumé de l’ouvrage de David Mangin « La ville franchisée – formes et structures de la ville contemporaine »

Le petit son de l’article : Mon nain de jardin de Renaud

 

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