Comme je l’évoquais dans mon dernier article, un projet d’architecture doit répondre à un cahier des charges assez strictes pour rendre ce projet intéressant et stimulant de sa conception à sa réalisation. Pour ce faire, les agences d’architecture font appel à divers outils afin de proposer une réponse cohérente, intelligente, parfois sensible et belle. Les méthodologies de projet varient également en fonction des agences et des sensibilités. Le dernier article que je vous ai proposé aborde la question des notions qui deviennent des références répétées à tous les projets et déclinées de multiples façons afin d’adapter les réponses de l’agence. Cette méthode crée ainsi une signature architecturale et met en lumière la conception qu’ont les agences de ce que doit être l’architecture.
Cette semaine, je ne vais vous présenter qu’un axe du travail d’une agence japonaise qui est l’une des mes références favorites. Son travail est vaste et varié puisqu’il fait le pont entre urbanisme, analyses des villes et maisons individuelles. Pour cette fois, je ne me focaliserais que sur le mode opératoire qu’utilise l’agence pour réaliser ses projets d’habitations: l’emploi du dessin associé à une démarche analytique des pratiques sociales. Il s’agit d’une agence que l’on ne présente [presque] plus, l’Atelier Bow Wow. Les deux japonais Yoshiharu Tsukamoto et Momoyo Kajima ont fondé en 1992 à plusieurs milliers de kilomètres de Bruxelles où réside Office KGDVS, l’Atelier Bow Wow à Tokyo.
UNE DÉMARCHE
L’Atelier Bow Wow s’attache depuis sa création à l’observation fine des comportements des usagers de l’architecture et de l’espace public. Ainsi, il a développé un certain nombre de théories tirées de la forme urbaine japonaise toute particulière, axées sur les petits espaces. Il a ainsi publié plusieurs ouvrages analysant les formes urbaines et l’adaptabilité de l’architecture japonaise au tissu bâti très dense. Au Japon, le prix du foncier et les charges sont si élevés quand on est propriétaire, que pour le rester il est d’usage de diviser son terrain pour le vendre. Dans les zones d’habitation la durée de vie des bâtiments est alors réduite à 30 ans et les parcelles qui restent constructibles, même si très petites, sont constamment transformées au milieu d’un tissu stable de maisons pavillonnaires. S’insèrent alors dans les brèches toutes sortes de petites maisons avec des écritures architecturales diverses créant une architecture contemporaine hétéroclite. C’est de cette adaptabilité au temps et au terrain dont s’inspire l’Atelier Bow Wow pour la réalisation de ses projets. Ainsi, il prône un certain « Art de vivre » au sein de ces petits espaces. De cette manière il utilise la contrainte extrême de l’espace pour en tirer des avantages afin d’optimiser la conception architecturale.
Sa démarche devient alors manifeste, il prône à la fois une mise en œuvre constructive facile ainsi qu’une grande mixité des usages, à travers de petites habitations à l’architecture légère et aux espaces non contraignants. De cette manière, il offre à l’habitant la possibilité de s’approprier le moindre m². On peut deviner dans ces réalisations des traces de l’architecture traditionnelle puisqu’on retrouve chez Bow Wow la grande adaptabilité des maisons traditionnelles qui ont des espaces pouvant accueillir des fonctions différentes suivant les moments de la journée. La temporalité, chère à l’architecture nipponne, est une donnée importante des projets de l’atelier, tout comme la mise en valeur des matériaux bruts, ainsi que l’ombre et la lumière. Les maisons de l’Atelier sont caractérisées par leur luminosité et la présence du bois brut. Le bois étant périssable, il symbolise dans l’architecture japonaise le temps qui passe.
Mais si la maison traditionnelle nippone se développe à l’horizontal, Bow Wow propose des maisons à la verticale, compactes et reconnaissables par l’importance donnée aux espaces transitoires. Bow wow offre une épaisseur et une vraie existence à ces lieux, comme les couloirs ou les escaliers qui sont selon moi assez peut traités dans l’architecture contemporaine française. Ils deviennent la colonne vertébrale des projets, et si ce n’est pas le cas, ils ont une place majeure dans les espaces créés. Les maisons japonaises étroites doivent donc se dessiner en hauteur, sans que l’escalier ne fasse perdre trop de place, ici ils sont élégamment insérés dans les pièces et ont toujours un profil délicat. S’ils ne sont là que pour desservir des pièces ils sont fins et discrets, sinon ils proposeront d’autres fonctions que celle de monter ou descendre. C’est alors que se dessine un jeu de niveaux successifs tout en gardant une fluidité certaine dans les déplacements, les espaces sont de fait assez proches les uns des autres.
L’ART D’HABITER EN COUPE
Cette verticalité est caractéristique du travail de l’Atelier Bow Wow mais pas seulement, puisqu’au Japon un projet d’architecture est d’abord pensé dans sa verticalité donc en coupe et non pas comme chez nous par son horizontalité, à travers des plans. Ce système de représentation qu’est la coupe, illustre les différentes imbrications des espaces dans leur hauteur et dévoile sous un autre angle l’espace proposé. Les plans, eux, permettent de comprendre à la fois où se situent les différents espaces et leurs connexions entre eux, mais également les cheminements et les déplacements possibles.
La représentation en coupe des maisons que l’Atelier construit, me semble couler de source, car, toujours allongées et tendues vers le ciel, ses projets se nichent souvent entre deux bâtiments existants à l’intérieur d’une brèche.
Le dessin est l’outil physique majeur de l’agence, elle l’emploie à la fois en coupe pour les maisons, mais également à travers des perspectives très détaillées pour des projets ou des analyses plus urbaines. Je vous invite donc à vous y plonger car au-delà de la représentation en perspective que nous connaissons communément, ici le dessin fait plus que représenter un espace, il nous raconte une histoire. En effet, les représentations des projets de maisons, par exemple, font s’accumuler une somme de données qui forme l’architecture : des détails constructifs, aux cotations, en passant par les matériaux, l’insertion urbaine parachevée par la représentation des pratiques des futurs habitants sur lesquels s’accumulent une multitude de petits textes. Leurs dessins regroupent alors sur une même planche les multiples aspects inhérents au travail de l’architecte.

Photo de l’Atelier Bow Wow_Dessin à plusieurs mains.
Le dessin est plus encore qu’une photo ou qu’une perspective 3D un outil de projection, il nous offre une représentation non figée. Bow Wow nous raconte la vie de celui qui habite, toutes ses coupes sont habitées d’un trait fin par des hommes, des femmes et des enfants mettant en scène les scénarios auxquels doivent penser les architectes lorsqu’ils conçoivent un projet, que celui-ci soit un équipement ou bien un logement. Les espaces déterminent nos pratiques et c’est bien de cela dont parle l’agence Japonaise. Ainsi l’Atelier met l’accent sur le moindre détail, des différents espaces aux petits équipements, il imagine comment les futurs habitants pourront s’approprier et vivre les lieux : une plante ici, un livre ou un réveil là, une table et un hamac plus loin. Le travail du dessin rend alors magique le moindre élément pensé, de la prise de courant pour le rasoir de la salle de bain aux cadrages des fenêtres sur les vues extérieures. L’amour du détail chez eux ne s’arrête pas aux pratiques mais s’étend également à la manière dont les éléments constructifs s’imbriquent entre eux, comment une paroi se joint au sol, au plafond, comment le sol de l’intérieur se transforme en terrasse d’extérieur, comment un garde corps doit filer ou devenir une rupture, ce qu’une fenêtre permet d’observer ou non. Rien n’est laissé au hasard, une méthode de travail qui les empêche ainsi de tricher et leur permet de répondre à chaque question posée par le commanditaire.
LE DESSIN COMME MISE EN SCÈNE
Ce travail méticuleux à plusieurs mains met en lumière la démarche analytique de l’Atelier et le soin qu’il porte à l’optimisation la plus totale de l’espace et leur amour du détail. Si ces représentations nous aident à nous plonger très facilement dans le projet, elles sont pour l’Atelier un outil de recherche et de création mettant en scène une fiction. Comme le dit Yoshiharu Tsukamoto, un dessin semble être « une petite feuille de papier », mais il pourrait devenir « un espace public où se réunissent [les gens] ». Encore une fois voilà une agence qui offre des espaces à vivre et dont l’objectif est de faire s’articuler la relation complexe entre les habitants, le milieu bâti et l’espace urbain, ce qu’illustrent magnifiquement leurs dessins, je vous laisse d’ailleurs vous y plonger !
Nora House_Senndai, Japon
House and Atelier_Tokyo, Japon
House Tower_Tokyo, Japon
Ikushima Library_Tokyo, Japon. Ceci n’est pas une bibliothèque, c’est bien une maison!
Split Machiy_Tokyo, Japon
Tread Machiya Small House_Tokyo,Japon
Sway House_Tokyo, Japon
Les ouvrages de l’Atelier Bow Wow:
2014 Graphic Anatomy 2 Atelier Bow Wow, ed Toto
2007 Graphic Anatomy Atelier Bow Wow, ed Toto Publishing
2006 Bow-Wow from POST BUBBLE CITY, ed. INAX
2001 Pet Architecture Guidebook, ed. World Photo Press
//APG
Le petit son de l’article: Culture Club-« Do you really want to hurt me »
Bel article! Merci d’avoir pris le temps de faire un portrait aussi fin de l’excellente firme d’architecture qu’est l’atelier Bow-Wow.
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