//FEMME ET ARCHITECTE – UNE EXCEPTION : ZAHA HADID

Portrait Zaha Hadid Site et Cité femme et Architecte

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Jeudi 31 mars, nous avons appris la mort de Zaha Hadid, l’architecte-star. Elle est décédée d’une crise cardiaque à l’hôpital de Miami où elle était rentrée pour une bronchite. A l’age de 65ans, l’architecte anglo-irakienne est partie trop tôt et sa mort a bouleversé le milieu culturel.

Elle avait été la première femme et la première musulmane à recevoir le prestigieux prix Pritzker en 2004 pour l’ensemble de son œuvre. A la tête d’une des plus grandes agences d’architecture du monde à Londres (plus de 246 architectes employés), Zaha Hadid faisait partie des références internationales qui font avancer l’architecture entre spectacle et théorie. Son engagement pour la création lui avait fait toucher aussi au design : voiture, chaussure, scénographie pour la mode, son nom était devenu une garantie et une marque.

Sa mort laisse des projets en cours et un discours en suspens. Mais avantage de notre métier, notre travail laisse des traces, des bâtiments pour apprendre et continuer de se remémorer les morts et leurs enseignements. Zaha, nous ne t’oublierons pas.

 

PARMI LES STARS

Séoul, Rome, Bâle, Pékin, Taïwan, Milan, Barcelone, le palmarès des villes accueillant un bâtiment Zaha Hadid est aussi étourdissant que ses architectures tout en courbes et en mouvement. L’architecte anglo-irakienne avait conquis les hautes sphères de l’architecture et était appelée sur tous les continents.

En France, nous la connaissons pour le centre administratif Pierres Vives à Montpellier, le Terminal du tramway de Hoenheim à Strasbourg et la tour CMA-CGM à Marseille. Elle n’avait rien construit à Paris, excepté l’éphémère pavillon Chanel qui avait été monté au pied de l’Institut du Monde Arabe. Je m’en souviens, c’était en 2010, la même année que l’inauguration de son musée d’art contemporain le MAXXI à Rome, un de ses coups de maître. A l’intérieur du pavillon, étaient présentés ses plus grands projets. Maquettes, coupes, vidéos, l’exposition offrait une introduction à son architecture par la représentation et par l’expérience d’un espace conçu par l’architecte même. La meilleure des démonstrations.

Je me souviens très bien de cette visite. J’étais avec APG et nous travaillions sur la scénographie d’une exposition imaginaire autour de femmes artistes arabo-musulmanes qui combattent les inégalités sexistes et revendiquent leur droit d’expression à travers l’art. En écho à ce travail, la visite du pavillon de Zaha Hadid a pris une allure de manifeste. Tout d’abord il y a son style, une architecture expressive et déconstructiviste, des courbes virevoltantes, l’impact d’une façade blanche. Zaha Hadid impose dans le paysage urbain mondial des formes innovantes et futuristes. Ensuite, il y a le statut de l’architecte renommée, visionnaire et prolifique. Architecte de renom et femme, il n’y en a pas beaucoup.

Le Pavillon Chanel de Zaha Hadid au pied de l'Institut du Monde Arabe

Le Pavillon Chanel de Zaha Hadid au pied de l’Institut du Monde Arabe

 

OÙ SONT LES FEMMES ?

La revendication féministe n’est pas ma priorité, mais je dois avouer que ce sujet constitue tout de même une toile de fond quand on pense carrière et succès et que l’on est une femme.

A ce titre-là, Zaha Hadid réussissait cet exploit d’être connue du grand public, la seule femme au milieu d’un palmarès très masculin. L’exception est facile à démontrer. Si vous demandez à votre voisin de citer des architectes contemporains connus, il donnera assez facilement 3 à 4 noms. A coup sûr, seront présents les archi-stars du moment : Jean Nouvel, Frank Gehry, Christian de Portzamparc, Norman Foster, Herzog et de Meuron … Peut-être citera-t-il Le Corbusier et Mies Van Der Rohe, si vous autorisez votre interlocuteur à élargir ses recherches vers les bien connus modernistes. Mais dans cette réponse, il y a peu de chance que se trouve le nom d’une femme.

Il n’y a pourtant aucune raison et aucun privilège masculin pour squatter le haut du tableau. Charlotte Perriand est indissociable de certains projets de Le Corbusier, mais elle est plus anonyme auprès du grand public. Les promotions des écoles d’architecture sont composées à 60-70% de femmes et on ne peut pas imaginer qu’elles abandonnent toutes le métier une fois le diplôme en poche. Évidement, le métier d’architecte (salarié et plus encore en libéral) nécessite un investissement en temps et une charge de travail importante. Le métier est exigent et difficile, mais cela n’exclut pas un sexe par rapport à l’autre, mais plutôt des caractères, féminins ou masculins, d’acharné et de bosseur par rapport à d’autre.

Il est évident que certaines habitudes sociales et culturelles, ancrées très profondément dans notre histoire, investissent davantage aux femmes la gestion du foyer, le soin des enfants et les tâches ménagères associées, et que ces missions entravent souvent les carrières : horaires adaptés aux rythmes scolaires, imprévus à surmonter (maladie, grèves de l’école), culpabilité et pression sociale… Mais ces habitudes n’ont aucune justification biologique ou juridique et la liberté devrait être donnée à chacun (homme et femme) de suivre ses envies et de choisir sa voie.

A l’instar de Zaha Hadid, je vois dans les exemples de femmes ayant réussi une belle carrière professionnelle, la preuve que le succès se remporte grâce au talent et au travail, et que eux seuls prédominent et conduisent à la reconnaissance (professionnelle ou publique). Que l’on soit homme ou femme, la recette est la même. La réussite récompense une quantité d’efforts fournis pour parvenir à ses fins et le succès qui en suit est pleinement mérité. Les sphères du pouvoir ne sont pas encore habituées (voir préparées) à accueillir des femmes. Celles-ci se trouvent confrontées à des réflexions sexistes, pas toujours malveillantes mais malvenues, des contraintes en plus à contourner pour diriger sa carrière dans la direction souhaitée, imposer son style et ses volontés dans un monde très masculin.

Zaha Hadid n’a pas été épargnée par ces attaques. Ses débuts de carrière ont été perturbés par l’hostilité du milieu, notamment avec l’affaire de l’opéra de Cardiff, projet dont elle avait remporté le concours et qui lui a été retiré parce qu’elle était une femme et qu’elle n’était britannique de souche. Suite à cette première déconvenue, elle a dû attendre la fin des années 1990 pour construire son premier projet. Pour tourner à son avantage cette mise en attente, elle s’est engagée dans l’enseignement et a continué, dans de grandes universités et au contact de jeunes générations, à construire son approche théorique. Un mal pour un bien nous pourrions dire, mais caractéristique toutefois des atteintes faites aux femmes qui s’avancent vers le pouvoir.

 

ATTAQUE AU PORTRAIT

Les exemples de travers sur ce sujet ne manquent pas et celui qui m’agace le plus est le rapport qui est systématiquement fait au physique des femmes de pouvoir. Zaha Hadid n’a pas échappé à cette association et dans les nécrologies publiées par la presse française, on la qualifie de Féllinien, d’abondant, de voluptueux. On parle de « lionne » en faisant référence à sa chevelure blonde et aussi volumineuse qu’une crinière, mais aussi à son caractère trempé que dénoncent ses collaborateurs. Ces qualificatifs sont faciles et ne vont pas très loin …

Quand un titre de presse tel Slate titre « les formes affolantes de Zaha Hadid« , on peut faire passer cela pour de l’humour censé donner de la légèreté à un portrait funeste, mais l’astuce m’agace. Je reconnais cela dit que les femmes ne sont les seules attaquées sur leur physique. Jean Nouvel peut facilement être cité parmi les cibles de ce matraquage. En février encore, était parue une caricature de lui en Nosferatus pour protester contre son projet d’extension du musée de l’Art de d’Histoire de Genève.

Si l’humour déplacé est l’arme en vigueur, il faut les emprunter aussi pour combattre et ce n’est pas Zaha Hadid qui refuserait la chose. Dans son entourage, un surnom de Diva voguait et agacée par cette nomination qu’elle détestait, elle avait porté un t-shirt à message « me traiterait-on de diva si j’étais un mec ? ».

 

CRÉATION AU MASCULIN

L’enjeu de jouer sur les limites existe pourtant et certaines femmes abusent de ces associations d’esprits. Zaha Hadid employait dans son agence une très grande majorité de collaborateurs hommes. Pourquoi ? Est-ce un hasard de recrutement à l’aveugle ? J’ai déjà entendu parler dans le métier d’agence d’hommes en comparaison à des agences de femmes (comprendre des agences dont la majorité salariale est composé de femmes ou d’hommes). Selon les dires de certains, les différences entre les deux seraient flagrantes tant du point de vue de l’ambiance de travail, du management, que de l’architecture créée. En résumant, il y aurait plus de rigueur et d’efficacité chez les femmes avec des horaires de bureau proche du 9h-18h quand les agences d’homme supporteraient davantage de flottement sur les horaires avec une ambiance plus conviviale et une créativité architecturale plus débridée ..

Vous imaginez ce que je pense de ces propos … Bien-sûr je reconnais qu’il existe des styles d’agence différentes, mais je ne pense pas que ce soit lié à des comportements prédéfinies par notre sexe. Que l’on soit homme ou femme, libre à chacun d’apprécier et d’équilibrer son temps entre vie professionnelle et vie privée. J’aurais également du mal à attribuer des qualificatifs féminins ou masculins face à un style d’architecture. Par une analyse freudienne, on peut toujours associer certains formes architecturales à des tentatives de représentations sexuelles, mais à ce titre, homme et femme sont tenus aux mêmes envies d’exprimer leur supériorité et leur pouvoir. Notre capacité de critique architecturale vaut mieux que cela !

En matière de style, je pense qu’il existe autant de sensibilités que d’individus et que celles-ci sont dictées par nos références culturelles et les valeurs que l’on approuve. Nous avons déjà évoqué sur Site[et]Cité un goût attesté pour l’architecture discrète et nous ne pouvons pas dire que les projets de Zaha Hadid entrent dans cette catégorie. Pourtant nous sommes femmes toutes deux, devrait-il y avoir une connivence ?

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On pourrait débattre longtemps de féminisme, mais ce n’est pas l’unique enjeu. Aujourd’hui, Zaha s’en va mais laisse derrière elle des bâtiments riches d’enseignement à étudier pour mieux lui succéder.

Elle n’était pas particulièrement mon architecte préférée, mais son approche contribuait à faire avancer l’architecture vers un univers décomplexé. Son vocabulaire plastique était expressif et radical, audacieux et futuriste. Elle introduisait une diversité salvatrice dans le paysage urbain, du renouveau quand certains s’enlisent (à lire notre critique du concours d’idées Ré-inventons Paris).

Un témoignage d’une femme passionnée et exemplaire pour l’avènement de sa carrière au profit de ses idéaux architecturaux et urbains qu’on oubliera pas de sitôt.

 

// CDu

 

Pour approfondir :

– L’agence et ses travaux : http://www.zaha-hadid.com/
– Le portait dressé par Frédéric Edelmann dans Le Monde
– D’autres architectes femme de renom pour augmenter vos références : Florence Bougnoux (agence SEURA, auteur de la canopée des Halles à Paris), Anne Lacaton, Kazuyo Sejima (la moitié de SANAA, architecte connu notamment pour le Louvre Lens, Prix Pritzker 2010), Odile Decq, Nathalie de Vries (le DV de MVRDV) … quelques noms parmi tant d’autres !

 

Le petit son de l’article : Beyoncé – « Formation »

3 réflexions sur “//FEMME ET ARCHITECTE – UNE EXCEPTION : ZAHA HADID

  1. « La revendication féministe n’est pas ma priorité » dis-tu, tu nous offres pourtant avec cet article un magnifique plaidoyer pour l’égalité de traitement auquel chacune d’entre nous a droit. Je revendique mon féminisme quand la médiocrité s’exprime plus fort que l’intelligence. Je ne suis pas une « pasionaria » mais j’admire ces femmes qui font de leur vie un art et un combat. Merci Zaha Hadid, merci aussi CDu !

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    • Merci Caroline. En effet, le féminisme n’est pas mon engagement quotidien, car je tends à penser l’égalité des sexes comme un non-sujet, une évidence qui ne nécessite(rait) pas d’explication. On y viendra un jour !!

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