// LA MAISON JAPONAISE OU L’ART D’HABITER

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Image à la une de La belle architecture sur Site et Cité, atelier d'écriture pour jeunes architectesIl arrive que des cultures nous fascinent, entièrement ou seulement par certains aspects, d’autres, à l’inverse peuvent nous rebuter. L’intérêt que je porte à la culture japonaise est assez récent et c’est par le biais de l’architecture et du cinéma que je l’ai découverte. La culture de l’habité que les japonais ont et que je trouve excessivement sensible, apporte à mon approche de l’architecture des notions immatérielles supplémentaires. Si par deux fois j’ai écris sur l’architecture contemporaine japonaise à travers deux références que sont l’atelier Bow Wow et Takaharu et Yui Tezuka, cette fois-ci j’ai décidé de me pencher, légèrement, sur les grands principes de l’habité de cette culture ancestrale.

La maison traditionnelle japonaise ainsi que les villes contemporaines sont une source d’inspiration intarissable dans les écoles d’architecture. Sont souvent cités les techniques constructives, l’aménagement des petits espaces et leur adaptabilité, l’esthétique ou encore le lien qu’entretiennent les japonais avec la nature. Mais cet univers fascinant ne se limite pas à ces considérations assez « matérielles » car la notion de l’habité chez les japonais à une dimension toute autre, une dimension sacrée et spirituelle. Leur approche est en tout et pour tout différente de l’approche occidentale, et c’est certainement en cela qu’elle met des étoiles dans les yeux de ceux qui y sont sensibles.

IMPACT GÉOGRAPHIQUE ET CLIMATIQUE

Comme nous le savons tous, nos cultures se construisent en lien avec les régions du monde dans lesquelles nous nous développons, afin de nous adapter à la géographie, au climat, à ce que nous offre la terre etc … Le japon a une culture insulaire et la place disponible pour le développement des villes étant assez restreinte, ces dernières se sont concentrées sur le bord des côtes soumises à des aléas climatiques très violents (tsunamis, typhons, tremblements de terre). De fait, le cycle « destruction-construction » est devenu constitutif des modes de vie et la notion d’impermanence profondément ancrée dans les mentalités (on comprend d’ailleurs pourquoi le Bouddhisme zen a prit racine chez les japonais). La destruction n’est donc pas une fatalité, elle fait partie du cycle de la vie : rien ne dure. Au contraire, elle permet le renouveau et les japonais l’abordent avec « optimisme ». Elle a également un impact direct sur la construction des villes, comme je le soulignais dans l’article sur Bow Wow, elles sont en perpétuelle mutation, l’espace urbain est en renouveau permanent.

Cette notion d’impermanence est donc constitutif des modes de vie et des modes d’habité, créant un lien très particulier entre l’homme et la nature. Pour nous la nature relève plutôt de l’objet, j’entends par là le fait que nous ayons un rapport très distancié avec elle dans la conception urbaine ou architecturale. En effet, en Occident, la nature est un agrément, elle n’est pas indispensable (conception née avec la compréhension du principe de perspective entrainant la séparation entre l’homme et la nature). Chez les japonais, le rapport est tout autre et se place à différents niveaux de lecture et d’échelles.

A grande échelle, elle régule leur vie au travers des aléas climatiques. A toute petite échelle, elle se matérialise dans le veinage du bois des cloisons des maisons, à travers l’ombre des arbres qui se reflète sur un mur. Elle a une notion immatérielle au travers des variations d’ombres et de lumière, et est reliée à une nature concrète dont il est impossible de se distancier, lui conférant un statut de référent suprême. Le jardin japonais traditionnel, lui, reproduit en miniature les symboles de cette nature sauvage suprême les mettant en scène au travers de plans successifs, et d’absence de symétrie.

Ces petits jardins privés sont les témoins du temps qui passe et rappel le mouvement perpétuel.  La maison et le jardin fonctionnent ensemble même si ils sont antagonistes. Ils se complètent : la maison symbolise la culture, le jardin la nature, et entre eux se jouent un rapport de temps et d’espace. Une autre des notions incontournables.

2. Vu sur un jardin miniature

Vu sur jardin miniature

LE MA, L’OKU ET L’EN

Au Japon, temps et espace, le ma, ne sont pas séparés. Ils ne font qu’un, créant pour nous une approche nouvelle. Il s’agit du « monde vécu » composé du souffle vital qu’est le « ki », et non la substance. Le ma est une unité de mesure traditionnelle, et appartient à l’invisible. Il est l’intervalle entre deux choses, le vide nécessaire à l’imagination.

Architecturalement cette notion s’exprime par l’absence totale de fonction des différentes pièces de la maison. Les fonctions s’inscrivent dans le temps et non pas dans l’espace, une même pièce accueille différents « moments » de la journée et la maison s’adapte au travers d’un mobilier léger facilement déplaçable, mais aussi grâce aux parois amovibles. Tout cela est rendu possible grâce à l’importance donnée au vide. Des vides créant des pauses associées à des parcours rythmés.

Ainsi, au temps et à l’espace s’ajoute la notion de parcours, l’oku, et la maison s’organise en fonction de ces cheminements. L’espace de l’habitat ne se conçoit pas comme chez nous en trois dimensions mais en deux dimensions tel un assemblage de plans horizontaux et verticaux, et c’est avec la complexité des parcours que nait la profondeur. Des parcours construits sur des hauteurs différentes, des sensations, des jeux d’ombres et de lumières, des vues voilées ou dévoilées. Les parcours sont organisés en fonction des liens entre des espaces de réceptions et des espaces plus intimes du quotidien.

La maison est toujours en hauteur par rapport au sol, on n’entre pas dans la maison on y monte. Et ce n’est pas seulement pour des raisons constructives car c’est ce décollement du sol qui crée la frontière et l’intimité de la maison. En occident, la limite entre dedans et dehors se matérialise par la façade, au japon, il n’y a pas de limite brutale, la limite est traitée comme une transition, l’en.

Les japonais développent ainsi une succession d’espaces intermédiaires créant une continuité, afin d’associer des espaces de qualités contraires reliés par des espaces « tampons ». L’habitant ou le visiteur se déplace alors d’un monde à un autre par le biais de ces espaces transitoires. C’est le cas par exemple de l’engawa, une coursive faisant le lien entre l’intérieur de la maison et le jardin, elle est couverte pour se protéger des intempéries mais ouverte aux quatre vents. Depuis le jardin cet espace semble appartenir à  la maison et depuis la maison, au jardin. C’est cette petite « marge » qui construit la continuité.

Ces trois notions immatérielles sont complémentaires créant ainsi une forme architecturale pour que l’habité devienne une expérience à part entière. La maison japonaise est une expérience en soi. Et si ces trois notions trouvent un sens matériellement, c’est le concept qui vient en amont de la solution constructive. Malgré ce que l’on pourrait penser, à chaque époque ces grands principes ont été réinterprétés, adaptés, tout en gardant cette toile de fond qui rend l’architecture nippone si particulière.

Intérieur extérieur

Le ma, l’oku et l’en

L’ÉLOGE DE L’OMBRE

L’impermanence, l’espace et le temps, le parcours et les transitions, sont magnifiés par l’importance donnée à l’ombre et la lumière. Si en Europe on accorde une importance primordiale à la lumière, les japonais eux, ont du se développer dans l’ombre. Les violentes intempéries les ont forcés à protéger les matériaux assez fragiles de leurs habitations par de larges toits limitant ainsi les entrées de lumière. De plus les jardins considérés comme des écrins précieux sont souvent installés au cœur ou à l’arrière des maisons, limitant les entrées de jour.

Les japonais ont alors composés avec l’ombre et on apprit à la sublimer, créant ainsi des contrastes entre l’ombre et la lumière. Les panneaux de papiers translucides et les panneaux de papiers peints en sont la parfaite illustration, ils modulent la luminosité des pièces et les motifs peints apparaissent ou disparaissent au gré de la lumière, symbolisant encore une fois l’impermanence. Le clair obscur est parfaitement maîtrisé, laissant discerner sans voir.

L’importance du détail et le travail minutieux qu’il demande impose aux maisons de n’être pas trop grandes, mais offre une qualité de vie remarquable aux différents espaces. Ce jeu d’ombre et de lumière créant de la profondeur associé aux ouvertures sur l’extérieur donne l’impression d’espace ou d’étroitesse à la pièce et non sa superficie. L’espace habité est alors toujours en mouvement en fonction de la lumière et des usages. Isabelle Berthet Bondet, architecte spécialiste de l’architecture nippone, parle des maisons comme de « tableaux en mouvement » et mentionne que « La perception japonaise de l’espace est fondée sur l’interprétation des mouvements de la nature visible et invisible ». Tous les sens sont stimulés afin de faire réagir le corps tout entier jusqu’aux revêtements des sols, et des matériaux utilisés, ainsi les ambiances diffèrent d’un espace à un autre.

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LE SENSIBLE COMME FIN EN SOI

L’habitat est plus qu’une forme construite ou qu’un espace que l’on s’approprie, il exprime l’essence de notre être le plus profond. L’habité exprime notre manière d’être, quand on se sent bien là où l’on habite. L’habitat est plus que la continuité de nous même, il nous constitue comme nous le constituons. Il est primordial pour notre équilibre car lui et nous sommes en relation. Il n’y a pas un modèle d’habitat qui prévaut sur un autre, mais un habitat qui correspond à un individu et les formes de l’habité sont nombreuses. Chacun devrait pouvoir construire l’espace dans lequel il vit.

Cette conviction très forte que l’habitat n’est pas un « objet » distancié de nous même, je l’ai acquise au fil de mes années d’études, de mes voyages et de ce que l’on appel dans le jargon : mon itinéraire résidentiel. Cependant, trop souvent dans les constructions neuves, et dans le travail des architectes et des urbanistes, se reflète cet oubli du sensible, l’oublie de cette relation très primaire que l’homme a besoin d’entretenir avec son milieu, lui préférant une conception plus formelle.

La maison japonaise et les exemples très contemporains que j’ai pu citer avec l’atelier Bow Wow et l’école de Takaharu et Yui Tezuka, nous font sentir l’importance qu’est l’art de vivre dans sa dimension la plus spirituelle. C’est dans la simplicité de ses éléments, la pureté de ses formes et de ses matériaux, l’équilibre entre l’intérieur, l’extérieur, l’ombre et la lumière etc que s’expérimente une maison sensible faisant le lien entre culture et nature, connectant l’habitat et nous même dans une dimension beaucoup plus vaste.

Cette perception, de l’ordre de l’expérience intérieure est à mes yeux fascinantes, et est au-delà des bancs de l’école d’architecture une source d’inspiration et de réflexion intarissable.

 // APG

Pour aller plus loin :

Émission sur France Culture « 20 maisons nippones : un art d’habiter les petits espaces« 

Jun’ichirō Tanizaki, L’Eloge de l’Ombre,  éd. Publications orientalistes de France, Paris, 1977

Augustin Berque, « Vivre l’espace au Japon », Paris, Presses universitaires de France, 1982

Film : The Taste of Tea de Katsuhito Ishii


 

 

 

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