Dans la suite de l’article de la semaine dernière, je continue ma quête d’un savoir pluri-disciplinaire sur les chemins de la connaissance ! Il n’est d’autre moyen d’apprendre que celui de se former et j’aimerais vous parler aujourd’hui d’une formation très intéressante à laquelle j’ai assisté sur la protection des arbres en ville, dans le cas de la pratique des sports urbains, et plus particulièrement autour de la pratique de la slackline.
La formation était dirigée par un agréant spécialisé dans la grimpe des arbres, une discipline de loisir en pleine nature, qui mêle les émotions d’une visite en ascension à la découverte d’un environnement fabuleux : les arbres. A l’occasion de ce séminaire, il a délaissé ses forêts pour venir nous en apprendre un peu plus sur les arbres que nous côtoyons en ville. En dehors des conseils très instructifs à tirer pour la pratique de la slackline, la formation a également apporté des clés de compréhension pour appréhender autrement les espaces paysagers urbains et leur conception.
Si vous ignorez tout de la slackline, rassurez vous, ce n’est pas essentiel pour la suite de l’article, mais je prends un instant pour rappeler que c’est une discipline sportive, proche du funambulisme, qui se joue sur une sangle molle et dont le but consiste à marcher sur cette sangle combattant les forces de l’équilibre pour rester sur le fil. La pratique de la slackline peut très facilement se faire en ville car elle demande peu de matériel : une sangle, son système d’accroche et de tension et deux supports porteurs. Les arbres en l’occurrence font très bien l’affaire et les slackeurs aiment utiliser les parcs comme aire d’entrainement.
LA VIE VÉGÉTALE
Trop souvent, l’arbre est considéré comme un objet, un faire-valoir botanique. Certains y voient une touche de végétal qui colore en vert dans un environnement très gris et capte du CO2 dans nos airs pollués. D’autres s’en servent comme mobilier urbain qui participe à la composition de l’espace public, pour rythmer l’alignement des boulevards par exemple ou apporter de l’ombre sur nos voitures. Dans les deux cas, l’arbre n’est pas pris en compte comme un être vivant mais comme un objet distancié qu’on sacrifie sans vergogne. Ces derniers temps, l’arbre est à la mode et est en souffrance. Comme nous l’avons vu dans les résultats du concours Ré-inventer Paris, il est omniprésent sur les projets, à bon escient ? je n’en suis pas toujours sûr ..
Cette conception de l’arbre-objet tend à nier qu’il est avant tout un être vivant, une machine végétale qui vit, respire, s’alimente, se blesse et se soigne. Les arbres nous ont précédés sur Terre et depuis 300 millions d’années, ils déploient leurs houppiers vers le ciel et leurs racines dans le sol pour satisfaire leur équilibre. Contrairement aux hommes, les arbres ont rodé un système de survie auto-suffisant à partir des éléments de base que sont l’eau, l’oxygène et le carbone. Sans atteinte à leurs libertés naturelles, un arbre peut donc adapter ses besoins aux climats et croître d’années en années jusqu’à la cime du ciel (l’arbre le plus grand mesuré atteint les 115m) et passer les siècles (les baobabs les plus vieux sont connus pour avoir vécu jusqu’à 5 150ans).
Pour se défendre des nuisances naturelles qui peuvent les menacer, les arbres ont développé des stratégies de protection malignes et adaptées. Ainsi la résine des épineux les protège des insectes ou recouvre les zones blessées pour éviter l’eau de pénétrer dans le tronc. La répartition des racines et l’épaisseur du tronc sont également naturellement mesurées pour équilibrer le poids des feuilles même quand sa masse est alourdie d’eau de pluie ou résister à la violence des vents, quand ceux-ci soufflent fort. Astucieux non ?
Dans ses conditions d’épanouissement, l’arbre est donc un admirable spectacle. Une source d’inspiration et de joie, dont nous profitons. Par les sens d’abord : Qui n’a jamais humé le parfum d’un sous-bois après la pluie, admiré le paysage orangé d’un début d’automne et bien sûr, dévoré ses fruits !! Mais aussi pour la science, qui s’inspire beaucoup de sa structure pour faire avancer la recherche et les technologies contemporaines (en agronomie et architecture notamment).
AUX CONDITIONS DE L’HOMME
Ce que l’on appelle végéter n’est pas une mince affaire à l’échelle d’une vie d’arbre. Au naturel, l’arbre est, comme toute espèce vivante, soumis à des contraintes et de menaces, mais l’affaire se complique quand l’homme vient ajouter ses actions, contraignant les arbres à bien des désagréments. Fort de pouvoir déplacer et faire pousser, l’homme s’est approprié la nature et la transforme tant qu’il oublie parfois que ce qu’il prend pour de l’ornement est en fait une matière vivante, précieuse et exigeante de quelques conditions de vie.
Lors de la formation, nous nous sommes rendus dans le parc accueillant le plus souvent nos slacks, pour opérer un diagnostic des arbres utilisés. Ce parc fait partie d’un quartier pavillonnaire dans une ville avoisinant Valence. C’est une réalisation contemporaine de plus ou moins 30ans, réalisée en même temps que le quartier, pour asseoir les nouveaux bâtiments autour d’un espace vert, spacieux et aéré. Le parc est indéniablement très agréable à vivre et facile à s’approprier, mais le regard du formateur a révélé des traces de souffrance sur quasiment tous les arbres, mettant en avant un entretien du parc pas forcément positif.
Par leur ignorance du fonctionnement de l’arbre et de la vie végétale, certains concepteurs de projets paysagers commettent des actions aberrantes et mettent en place des systèmes impropres aux objectifs recherchés. Au lieu de construire un espace paysager, ils entravent les végétaux, les privent de leurs besoins et les empêchent de pousser.
Un arbre emprisonné dans une fosse ne pourra pas étaler ses racines en périphérie du tronc et ne sera pas en mesure d’ancrer son poids au sol pour résister correctement aux vents. Un arbre avec en abord un revêtement de sol imperméable déploiera ses racines mais celles-ci ne pourront pas récupérer l’eau et le CO2, nécessaires à a croissance du végétal. Un arbre sauvegardé par un chantier mais dont les abords seront ouverts par des tranchés verra ses racines sectionnées et ne pourra plus approvisionner ses ressources, et si il survit, il ne sera plus correctement ancré au sol par son assise racinaire (qui pour rappel, peut être d’une envergure comparable sous terre à celle des branches dans l’air).
Avez-vous déjà vu ce genre d’actions dans vos villes ? Elles sont fréquentes malheureusement et d’autant plus dommageables, que ces erreurs initiales entrainent bien souvent des erreurs des services d’entretien. Par exemple, la plantation d’une espèce mal choisie et trop volumineuse devant un alignement de maison conduira forcément à un élagage sévère pour discipliner les hauteurs. Un arbre aux racines sectionnées ne saura plus garantir son équilibre et risque de choir, ce qui lui vaudra une étiquette d’insécurité pour les zones environnantes et verra les autres spécimens de son espèce classifiés désormais comme « instable ».
RETOUR AUX SOURCES
A contre-courant des vérités scientifiques et biologiques, il existe ainsi une culture du faire qui prédomine sur la connaissance. On alimente nos pratiques à partir des méthodologies éprouvées sans questionner la justesse de l’action. On plante, on élague, on débroussaille. La vie végétale est réduite à ses qualités d’apparat, sans prendre conscience que derrière la beauté du vert s’équilibre un organisme nécessiteux de ressources. Dans ce domaine, notons aussi que les industries scientifiques ne sont même pas toujours les garants d’une bonne pratique botanique. Vous connaissez Monsanto, vous voyez de quoi je veux parler ..
Les grands parcs nationaux et municipaux sont placés le plus souvent sous la tutelle de gestionnaires, qui sont des professionnels du métier. Par leurs soins, les espèces sont protégées des pratiques sauvages, sauvegardés des menaces des maladies épidémiques, embellies et mises en valeur pour le plus grand bonheur des utilisateurs. Mais les communes moins loties ne bénéficient pas toujours de ces services et l’entretien des parcs n’est alors pas toujours optimal.
Si les arbres sont devenus autour de nous des choses du quotidien, il ne faut pas pourtant se désinvestir de s’intéresser à eux. Pour les sauvegarder et pouvoir continuer de bénéficier de leurs attraits (esthétiques, alimentaires, écologiques…), il est nécessaire de prendre soin d’eux. A nous de jouer !
Pour aller plus loin :
– les stages de Sam’Branche, si vous passez près de Tullins en Isère, pour s’initier et savourer les joies de la forêt et de la grimpe d’arbre
– le film il était une forêt de Luc Jacquet, magnifique ballade sous la canopée pour tout comprendre sur les processus de renouvellement des forêts.
– Francis Hallé, en action dans le film ci-dessus mais aussi en lecture par ses ouvrages de références sur le sujet
Le petit son de l’article : Maxime Leforestier – « Comme un arbre »