// J’ACHÈTE UN CHÂTEAU EN TOURAINE?

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Depuis le 26 mai 2016, le château du Plessis-lès-Tours à La Riche, près de Tours, est à vendre. Ce château était jusqu’à présent la propriété de la ville de Tours et était occupé depuis les années quatre-vingt par la compagnie de théâtre José Cano Lopez. Cet évènement n’est pas l’occasion pour moi de commenter les querelles qui persistent entre la Compagnie et la municipalité, mais plutôt d’analyser le rapport que la collectivité entretient avec le patrimoine, en particulier le sien.

La municipalité assure avoir cherché à monter des partenariats avec diverses structures afin de continuer à faire vivre le lieu, mais le coût exorbitant des travaux à réaliser (près de 2 millions d’euros), et la difficulté à trouver un programme, aurait convaincu les élus de vendre le bien. Ils se laissent toutefois un droit de regard sur le futur acquéreur, considérant probablement que l’édifice ne peut être attribué à n’importe quel usage.

Loin d’être un cas isolé de transfert de patrimoine de la sphère publique au privé, cet évènement fait échos aux multiples ventes de bâtiments par l’Etat qui marquent ces dix dernières années. Surcoût d’entretien, absence d’usage ou nécessité de mise aux normes, les raisons qui poussent les collectivités et l’Etat à se séparer de leur patrimoine (entendre ici le terme sous le sens de « propriété ») sont exclusivement financières. Le rapport de la puissance publique au « patrimoine de la Nation » est une longue histoire, qui commence au lendemain de la Révolution et n’a pas encore trouvé d’issue…

 

 

La façade ouest du château sur jardin

UN CHÂTEAU OUBLIE

Le château du Plessis-lès-Tours est un monument majeur de l’histoire du Val de Loire. Il s’agit des restes du château royal de Louis XI, premier roi de France à être venu s’installer en Touraine. L’édifice fut bâti dans la seconde moitié du XVe siècle, et après y avoir séjourné à de nombreuses reprises, le roi y mourut en 1483. Le château resta propriété royale et fut transformé en relais de chasse, puis en demeure aristocratique servant tantôt pour une maitresse, tantôt pour héberger des moines sans toits ou des vieux militaires retraités. Il se dégrade peu à peu et est vendu comme bien national à la Révolution. La plupart des bâtiments disparaissent, et le corps de logis subsistant sert de grange tout au long du XIXe siècle, quand il n’est pas utilisé à des fins industrielles. A la fin du XIXe siècle, il est restauré avec de nombreux remaniements, tant et si bien que la seule partie d’origine serait la tourelle d’escalier en façade ouest.

Monument royal au destin tragique, l’édifice a également connu la mutation profonde de son environnement paysager. Autrefois composé des seules cultures maraîchères de la plaine alluviale, le site est de nos jours au cœur de l’agglomération tourangelle, enserré dans un tissu urbain largement bâti aux allures infrastructurelles (grande surface commerciale, faisceau de voies ferrées, boulevard périphérique, etc.).

Quelle valeur mémorielle un tel monument peut-il laisser avec tant de modifications ? Les Tourangeaux y sont-ils attachés ? Est-il seulement connu d’eux ? Pendant toute la période où elle l’a occupé, la Compagnie de Cano Lopez a tenté de faire vivre le lieu au travers de l’approche artistique et culturelle. Cet usage s’inscrivait dans la continuité du vœu initial de la commune qui avait fait du lieu un musée à la suite de son achat en 1932.

 

Dessin du château avant ses destructions partielles (dessin du XVIIe siècle)

 

Le PATRIMOINE : UN BIEN COMMUN

84 ans après l’avoir acquis, la municipalité souhaite s’en séparer. Elle qui était le garant de son propre patrimoine, l’a laissé se dégrader et en appelle aujourd’hui à l’initiative privée pour pallier à ses défauts. L’affaire est regrettable, d’autant que le lieu comme l’histoire pourraient justifier une initiative publique forte et emblématique, portée par une structure comme l’Agglomération ou le Département – avec l’appui de la mission Val de Loire qui gère le site UNESCO. Les acteurs du patrimoine ou les partenaires potentiels ne manquent pas, je suis convaincu que les idées de programme non plus, c’est bien l’argent qui manque.

Gravure, XVIIe siècle (façade sur cour)

Cet argent, la municipalité n’a pas réussi à le trouver pour restaurer le dôme de de la basilique Saint-Martin, autre monument majeur de la ville. Elle a fait appel aux dons des fidèles, des amateurs de patrimoine et des mécènes. L’argent manque, partout et pour tout, et c’est souvent le patrimoine et la culture qui en pâtissent. Or, le patrimoine, ce n’est pas tant la mémoire ou l’histoire, c’est avant tout un héritage, un bien commun et partagé qui appartient à tous. Le château du Plessis-lès-Tours, revenu dans les mains de municipalité, revenait en quelque sorte aux Tourangeaux. Le premier château royal du Val de Loire, la première pierre d’un héritage qui bénéficient encore à l’économie locale et contribue à faire la renommée de la région. Mais alors comment concilier cet héritage avec les impératifs économiques qui dictent aujourd’hui nos logiques de fonctionnement ?

 

DE LA RESPONSABILITÉ AU LEVIER ÉCONOMIQUE

L’affaire du patrimoine public qui est cédé au domaine privé relève avant tout de la question de la responsabilité. Un patrimoine doit s’entretenir, à la fois dans sa forme (travaux d’entretien) comme dans le fond qui l’occupe (programme culturel, usage fonctionnel, etc.). Être propriétaire d’un bien culturel, c’est en avoir la responsabilité, et notamment la responsabilité de sa bonne conservation. Mais derrière ces vœux pieux doit également exister une logique économique qui doit être à la fois viable et porteuse d’un message. Si le problème de l’entretien du patrimoine repose sur l’argent, il faut alors trouver le moyen de mobiliser les leviers économiques qui assureront la pérennité du bien. L’appel au don et au mécénat est effectivement une opportunité, mais elle ne peut être systématique. La vente est une solution de dernière chance, lorsque toutes les pistes ont pu être explorées, et surtout, elle ne peut et ne doit pas intervenir a priori, elle doit être la conséquence logique d’un projet et d’un partenariat.

Carte postale façade est du château (début XIXe siècle)

Carte postale façade est du château (début XIXe siècle)

Soyons clairs, l’opposition du public et du privé n’a pas véritablement de sens vis-à-vis du patrimoine culturel. Les châteaux d’Amboise et de Chenonceau sont des propriétés privées qui mettent en valeur et entretiennent avec une grande rigueur le patrimoine partagé du Val de Loire. Il n’existe qu’une opposition théorique entre ceux qui utiliseraient les biens pour générer un revenu et ceux qui veilleraient seulement à l’intérêt public, car tous ont besoin d’argent. Mais alors, si le propriétaire peut être privé ou public, quel mal y aurait-il à vendre le château, du moment que quelqu’un y trouvera un levier économique ?

 

Vue aérienne du site, le château et ses jardins

 

LE PATRIMOINE COMME PROJET

La municipalité tente certainement un coup de poker et communiquant sur une vente potentielle pour émouvoir les acteurs et mobiliser les capitaux et les idées. Car les fondements même de la mise en valeur du patrimoine culturel résident dans la capacité des acteurs responsables à faire projet autour du bien. Un projet n’est pas nécessairement un programme culturel ou un partenariat monté avec un occupant potentiel. Le projet est d’abord un objectif à atteindre : faire connaitre le bien, restaurer le bien, transformer le bien, le moderniser peut-être ? Ensuite viendra le temps de la mobilisation des acteurs, l’office départemental de tourisme pour évaluer la capacité du bien à déplacer les foules, les apprentis Compagnons pour leur offrir le château comme objet d’études, la mission Val de Loire pour activer le réseau de l’UNESCO, etc. Enfin, quand le projet et les acteurs seront définis, l’argent ne sera plus qu’une conséquence, un outil. Un chantier de restauration génère à la fois de l’emploi, des savoir-faire locaux, de la circulation de matières premières, bref, toute une économie, dont les retombées seront profitables à tous, si c’est ce que l’on recherche.

Comme souvent, finalement, l’argent n’apparaît plus que comme un moyen et non comme une fin. C’est ainsi que vit et continuera à vivre le patrimoine commun, celui qui ne rapporte rien, mais qui n’a pas de prix. Celui qui coûte cher, mais qui apporte beaucoup.

 

// Grégoire Bruzulier

Pour aller plus loin :

Article sur l’histoire du château

Le petit son de l’article : Chilly Gonzales, solo piano

 

Une réflexion sur “// J’ACHÈTE UN CHÂTEAU EN TOURAINE?

  1. Notre si joli château du Plessis lès Tours ne serait-il pas le symptôme criant d’une société sans projet justement, incapable de penser et de réfléchir, concentrée sur l’agir dans la précipitation et l’avoir toujours plus.
    Pour une fois, il eu été utile d’interroger les tourangeaux, de prendre le temps de la réflexion.
    Penser un lieu d’histoire comme une richesse quel beau projet pourtant …

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