// LE DÉFI DE L’EXTENSION DU MUSÉE DES BEAUX-ARTS DE TOURS

Façades XVIIIe siècle sur jardin

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A la fin du mois de juin, les Tourangeaux apprenaient avec joie qu’un riche industriel de la Région, Léon Cligman, faisait une donation d’environ 1200 œuvres au Musée des Beaux-Arts de Tours. Cette donation importante comporte notamment des noms qui laissent rêveur et permettraient au musée d’embrasser une carrière à l’échelle nationale. On parle de Degas, Delaunay, Delacroix, Caillebotte, Corot, etc., et même si l’Etat n’a pas encore examiné au peigne-fin la collection, il semblerait que celle-ci soit une opportunité formidable pour la Ville. Seulement, le musée actuel n’est pas assez grand pour accueillir ces nouvelles œuvres et il faut donc envisager son extension, souhaitée sur le site actuel. Léon Cligman accompagne sa donation d’un budget de 5 millions d’euros consacré à l’extension du musée des Beaux-Arts. A 96 ans, le mécène souhaite voir le bâtiment sortir de terre et couper le ruban blanc le jour de l’inauguration.

 

 

La façade XVIIe siècle et le Cèdre dans la cour

UN PROJET CONSENSUEL

La situation semble idéale pour la collectivité. Le mécène finance l’extension et fournit les œuvres d’art, c’est de plus une occasion unique pour renforcer le caractère culturel et artistique d’une ville ligérienne qui tente de se renouveler avec la construction du Centre de Création Contemporaine Olivier Debré (l’ancienne école des Beaux-Arts) et la réhabilitation en Pôle artistique et numérique de l’ancienne usine Mame (imprimerie). De ce point de vue, le projet fait globalement consensus, en ce sens que personne ne saurait remettre en question la nécessité même de saisir l’occasion pour enrichir les collections et l’offre culturelle de Tours. Mais la presse locale s’interroge assez peu sur les conséquences d’un tel projet, et il faut lire un article du magazine la Tribune de l’Art pour commencer à saisir certains enjeux architecturaux et urbains inhérents au projet d’extension.

DES ENJEUX PATRIMONIAUX RÉGLEMENTES

L’actuel musée des Beaux-Arts de Tours se trouve dans l’ancien palais des Archevêques, au sud de la Cathédrale Saint-Gatien. Il est adossé à l’ancien rempart gallo-romain et comporte plusieurs bâtiments ajoutés au fil des époques. Un édifice public du XIIIe siècle qui a vu se tenir les Etat Généraux de France sous Louis XI, un ensemble de bâtiments du XVIIe siècle et un autre du XVIIIe siècle. Le palais est agrémenté d’un jardin à la française et d’une cour dans laquelle fut planté un cèdre par Napoléon Ier. Le site présente donc une valeur historique, archéologique et esthétique très forte, et tous les documents de préservation du patrimoine mis en place par la ville visent à préserver ce lieu. Vous le comprenez, l’enjeu est de taille, puisque le projet d’extension doit se faire dans un site réputé inconstructible.

Rien n’est impossible, et certainement pas le contournement de la règle, qui est apparu comme une évidence au regard des enjeux. Certes, le projet architectural devra composer avec le site existant, ne pas venir trop perturber le tracé du jardin, conserver une transparence vers les anciens remparts et présenter un matériau de façade faisant référence au site et à son histoire. L’enjeu est de taille, mais c’est bien le travail de l’architecture de relever le défis, et c’est probablement possible. Quant à savoir si la collection mérite réellement un intérêt, je doute que cela ait une quelconque importance pour la suite de l’opération : c’est la symbolique du geste qui compte, l’inscription dans une histoire local d’une donation conséquente, comportant, très vraisemblablement, quelques pièces maitresses.

 

Façade latérale du jardin avec la terrasse flanquée contre l’ancien rempart gallo-romain

 

UN PROJET A INTERROGER

Rien n’est impossible, et l’on peut s’en réjouir, mais cela ne peut et ne doit pas rester sans interrogations. A quoi cela sert-il de financer (avec de l’argent public) de vastes documents de préservation du patrimoine dès lors que la volonté d’un seul particulier (accompagné de 1200 œuvres d’art et d’un gros billet) peut faire évoluer ces documents, sans consultation particulière des instances concernées ? La révision du secteur sauvegardé de Tours date de 2013 et fut financée à hauteur de plusieurs centaines de milliers d’euros par la Ville et l’Etat. Une simple modification du secteur sauvegardé présentée en Conseil Municipal a suffi à rendre constructible le terrain. Bien entendu, et c’est là tout l’enjeu, le projet revêt également une dimension d’intérêt public et général qui peut justifier en partie l’évolution des règlements.

Autre point sensible, le lieu dans la ville. Une telle collection, dont l’origine est privée et fait référence à l’histoire d’une famille (la femme de Léon Cligman est elle-même artiste) devait-elle faire l’objet d’une extension d’un musée public, ou bien pouvait-elle prendre place dans un équipement neuf à part entière ? Le coût et la symbolique ne sont pas les mêmes, mais une offre culturelle uniquement concentrée dans le cœur historique renforce l’effet de polarité inversée (le centre congestionnée et la périphérie ignorée). A l’image de l’usine Mame (en marge du centre-ville), le musée aurait pu accompagner un grand projet d’urbanisme comme la réhabilitation des anciennes casernes ou de la place de la Tranchée à Tours Nord.

Photos aérienne du site des Beaux-Arts et du projet futur d'extension

Photos aérienne du site des Beaux-Arts et du projet futur d’extension

Enfin, la transparence sera de rigueur au niveau de la procédure administrative, car le sujet sensible souffrirait d’une absence de communication et le projet ne saurait être dessiné sur un coin de table sans associer les acteurs incontournables du patrimoine, dont l’architecte des bâtiments de France, qui devra assurer un rôle de garant des enjeux patrimoniaux, aux côtés de la collectivité. Entre les partisans incontinents du maintien du caractère inconstructible du jardin et les partisans d’un avant-gardisme culturel, c’est surtout le projet architectural qui permettra de faire pencher la balance.

Simulation de la volumétrie du futur projet contre le terrasse du jardin

Simulation de la volumétrie du futur projet contre le terrasse du jardin

 

DES PERSPECTIVES ARCHITECTURALES?

Pour ma part, si je suis encore dubitatif sur les tenants urbains d’un tel projet, qui m’apparaissent témoigner d’un certain flottement sur la ligne directrice de la politique culturelle des musées au niveau de la Ville (même si des évolutions sont à noter avec le transfert de compétence à l’agglomération), je reste dans l’attente d’un projet architectural ambitieux et très qualitatif qui pourrait avoir la capacité de convaincre de l’intérêt d’enrichir (architecturalement) le site, en y ajoutant un nouveau corps de bâtiment du XXIe siècle.

Dans l’attente de plus amples communications sur la forme architecturale du projet, les acteurs qui suivent le projet et sont les garants de sa réussite doivent veiller à bien écouter les arguments de tous les partis avant de prendre des décisions qui pourraient s’avérer hâtives. Les fouilles archéologiques qui devaient commencer dans le courant du mois de juillet apporteront certainement des précisions sur les enjeux patrimoniaux du site. Espérons que Léon Cligman saura être attentif à ces enjeux et portera son projet en gardant à l’esprit son caractère de compatibilité avec un site hautement stratégique.

Affaire à suivre.

 

// Grégoire Bruzulier

 

Le petit son de l’article : The light of the Seven, BO Game of Thrones

 

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