// UN DETOUR A BEAUBOURG

inaugurationImage à la une de La belle architecture sur Site et Cité, atelier d'écriture pour jeunes architectesCette semaine, nous faisons à six mains l’exercice particulier de décrire une architecture, la même, avec chacun l’approche qui nous est propre. Nous avions déjà il y a quelques semaines, étudié la carrière inspirante de Mies Van Der Rohe. Aujourd’hui, c’est à un bâtiment que nous nous attelons : le Centre Pompidou à Paris, conçu par les architectes Richard Rogers et Renzo Piano.

Pour ces premiers pas, nous avons recherché une architecture connue, aimée, évocatrice de ce que nous admirons et défendons dans la conception du métier. Avec Beaubourg, nous pouvons parler de patrimoine, d’insertion urbaine, d’audace contemporaine ou encore réfléchir sur les procédures politiques de concours qui libèrent la créativité pour des projets inédits et réussis.

Il est très probable que vous connaissiez déjà le Centre Pompidou pour avoir visité une exposition au hasard d’un séjour à Paris, ou arpenter la bibliothèque pour trouver une place de travail calme et studieuse. Depuis son inauguration en  1977, le bâtiment fait parti des incontournables de Paris, un bâtiment d’exception, mais aussi un lieu de vie et de culture, pratiqué familièrement par les habitants de la capitale.

 Vous avez certainement votre récit du lieu, mais nous espérons quand même qu’à travers les nôtres, vous en apprendrez un peu plus sur cette institution architecturale. Dans tous les cas, nous sommes toujours très intéressés par vos retours et expériences partageables dans les commentaires de l’article. Intéressés également par votre prochaine idée de bâtiment ou d’architecte que vous aimeriez nous voir aborder si ce type d’article vous plait.

UN MUSEE ENTRE HISTOIRE ET PATRIMOINE par Grégoire BRUZULIER

Un bâtiment emblématique qui m’a toujours marqué, surpris et interrogé. Pendant mes premières années d’études à Paris, j’ai eu la chance d’habiter à quelques rues du site, j’avais l’occasion d’admirer l’œuvre au moins une fois par semaine, lorsque je faisais mes courses au pied du bâtiment, dans une supérette avec vue sur la façade aux tuyaux de fluides. Chaque fois que je voyais le bâtiment, je ne considérais jamais le contexte urbain ou l’environnement, mais toujours l’objet architectural. L’objet m’a toujours impressionné et inspiré une certaine forme de respect. Un volume de contrastes, simple et pourtant complexe, technique mais également lieu culturel, lourd et pourtant transparent.

L’histoire de la construction du projet ne renvoie cependant pas uniquement à la considération d’un seul objet architectural. Il s’agit avant tout du projet de rénovation urbaine de tout un quartier, depuis la fin du XIXe siècle déjà. Le site sur lequel est implanté le musée se trouve dans un des quartiers les plus anciens de Paris, à proximité des Halles dont l’implantation est attestée depuis le XIIIe siècle au moins. Lorsque le baron Haussmann a entrepris de rénover la capitale à la fin du XIXe siècle, il s’est employé à traiter ce quartier, notamment avec le percement du boulevard Sébastopol qui trace un axe nord-sud important. Le tissu médiéval escarpé et sinueux a laissé place à de belles avenues bordées d’immeubles aux façades composées. La rénovation de ce quartier s’est poursuivie dans la première moitié du XXe siècle, lorsque l’ilot concerné par le projet de Beaubourg fut entièrement rasé (pour cause d’insalubrité) et transformé en parking aérien (une friche automobile). Il était donc logique que plusieurs décennies plus tard, les autorités souhaitent profiter du site exceptionnel pour bâtir un équipement d’envergure.

Le site du Centre Pompidou avant sa construction.

Le site du Centre Pompidou avant sa construction.

Pourtant, une fois que le projet définitif fut choisi par les autorités, de nombreuses voix s’élevèrent à Paris contre une forme architecturale jugée étrangère au tissu urbain ancien environnant (les quartiers de Beaubourg et de l’Horloge). Le bâtiment ne détruisait rien, il comblait seulement un vide. L’attachement des Parisiens à leur patrimoine était tel que la forme architecturale nouvelle devait malgré tout composer avec le tissu ancien de son environnement.

Si je reconsidère aujourd’hui l’objet comme une pièce composante d’un quartier ou d’une ville, je redécouvre l’architecture différemment. Dans son implantation, le centre réinvestit un ilot complet et recompose des façades urbaines qui avaient disparues. Il permet également, par le dégagement d’un vaste espace public, de créer dans un quartier dense et congestionné un vide de rassemblement, une scène urbaine (à moins que ce ne soient les gradins et le bâtiment la scène ?). Par son volume hors d’échelle, il rompt avec la rigueur des façades haussmanniennes et créer une certaine distorsion accentuée par les couleurs et la matière (la trame métallique). La rupture d’échelle n’est pas nécessairement un mal pour la ville, elle magnifie l’équipement, met en scène l’espace public et compose avec le réseau des monuments de la capitale qui sont souvent hors d’échelle.

 Il est difficile de savoir si c’est le recul qui nous accompagne dans l’acceptation d’une architecture radicale et différente ou si le projet, dans sa radicalité, épousait malgré tout un certain respect pour le site, en dégageant les façades anciennes et en offrant l’un des plus beaux points de vue sur le cœur historique de la capitale (sur le toit du bâtiment). L’architecture est toujours une ligne fragmentée d’une histoire plus vaste qu’il n’est pas toujours possible d’analyser avec distance. Gardons seulement en mémoire que Beaubourg a occupé à une ancienne friche et qu’un projet audacieux et novateur valait mieux qu’un beau parking !

UN CONCOURS OUVERT par CDu
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Maquette premier projet

Parisienne de naissance, j’ai connu le centre Pompidou depuis toujours, dès mes premières balades à Paris. Bien que très ludique avec ces couleurs et ces escalators en façade, je n’ai pas de souvenir du centre enfant, mais plutôt adolescente dans le cadre de visite d’expositions, avec à chaque fois l’escale obligatoire d’une plongée dans l’horizon parisien depuis la vue offerte au cinquième étage tout en haut des tapis roulants. Depuis ce temps, le bâtiment a fait parti de mon quotidien, pratiqué sans même y penser entre la boutique du rez-de-chaussée, la bibliothèque rue du Renard et les expositions à accès illimité grâce à la carte d’abonnement.  

Si l’intégration du bâtiment parisien est si innée pour ma génération, il ne faut pas oublier la polémique qui l‘accueillit à la fin des années soixante, quand il fut annoncer par le président Georges Pompidou la volonté de faire construire un nouveau centre d’art moderne sur le plateau de Beaubourg.  

« Je voudrais passionnément que Paris possède un centre culturel (…) qui soit à la fois un musée et un centre de création, où les arts plastiques voisineraient avec la musique, le cinéma, les livres, la recherche audio-visuelle, etc. Le musée ne peut être que d’art moderne, puisque nous avons le Louvre. La création, évidemment, serait moderne et évoluerait sans cesse. La bibliothèque attirerait des milliers de lecteurs qui du même coup seraient mis en contact avec les arts. »
Georges Pompidou, discours de lancement du concours international en 1969.

Les ambitions qui ont donné naissance au Centre Pompidou regroupent plusieurs objectifs : rayonnement culturel de Paris comme place forte artistique face à l’émergence du marché de New York, affirmation de la position présidentielle, urbanisation du centre de Paris… des raisons multiples que nous ne développerons pas maintenant, mais parmi elles, le rêve accessible de concevoir à Paris un bâtiment résolument moderne.

Pour cela, il est organisé un concours international d’architecture, le premier concours de cette ampleur en France, qui depuis n’aura pas été répété si souvent (comptons-en cinq avec le Parc de la Villette, la Grande Arche de la Défense, la Bibliothèque National et le Musée du Quai Branly). 681 équipes d’architecture y participent et conçoivent 681 projets qui seront envoyés au jury de commission pour arbitrage.

Contrairement aux procédures de concours qui sont préférées actuellement, il n’était pas demandé aux concurrents un dossier de références pour présélectionner quelques prétendants (de 3 à 10), qui auront le droit de remettre une offre. Non, tout architecte pouvait prétendre à sa chance, moyennant un billet de 200Fr, donné en gage et restitué en retour d’offre (histoire de payer les frais de reproduction des pièces d’appel d’offre).

Dans de telles conditions, chaque équipe est stimulée par la liberté et l’espace d’expression. L’aura du concours ne contente plus alors de répondre à un programme (la construction d’un musée sur la place Beaubourg), mais il s’engage un dialogue sur la pensée de l’architecture contemporaine, sur l’intégration d’un bâtiment public dans un cœur de ville, sur le renouvellement d’un tissu urbain historique.

Bien entendu, ces procédures ne sont pas irréprochables, on pourrait par exemple critiquer le fait que des équipes d’architecture travaillent une esquisse gratuitement. Des indemnités existent bien mais au nombre limité de trente + une exceptionnelle accordée au lauréat … Ci-dessous quelques planches méconnues de ce qui aurait pu être le Centre Pompidou si l’équipe de Renzo Piano et de Richard Rogers n’avait pas proposé le dessin que nous connaissons tous avec la grande piazza qui fit son succès.

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POUR UNE ARCHITECTURE AUDACIEUSE ET SON EXPORTATION par APG

Mon premier souvenir du centre Pompidou est très net et restera pour toujours magique. Une nuit alors que j’avais à peine 10 ans, nous sommes passés en voiture par la rue Saint Martin et c’est là que j’ai découvert, émerveillée, ce vaisseau massif à peine éclairé. Je me souviens de la chenille serpentant le long de la façade, de la délicate structure métallique et de sa façade gigantesque derrière laquelle brillaient comme de petites loupiottes les panneaux lumineux « sortie de secours ». Aussi loin que je me souvienne de mon enfance, aucune architecture n’a été pour moi aussi saisissante. Pendant quelques années ce souvenir m’a hanté, jusqu’à ce que j’y retourne en 2002 à l’occasion de l’exposition « La Révolution Surréaliste » j’avais alors 14 ans et après le bouleversement architectural qu’a été cette découverte s’en est suivi celui de la découverte de Miro, Ernst, Magritte, Dali, Giacometti et tous les autres.

beaubourg la nuit

Que l’on aime ou que l’on déteste, le centre Pompidou ne laisse jamais de marbre, son audace a alimenté les controverses pendant plusieurs années, et aujourd’hui il a su se hisser dans la tête de liste des plus grands musées mondiaux. Sa collection permanente d’art contemporain est la plus grande d’Europe et ses expositions temporaires parfois très « pointues », ne font pas toujours l’unanimité, pourtant les entrées au musée font carton plein. En 2015, c’est plus de 3 millions d’entrées qui alimentent la machine.

Afin de garder son statut de référence dans l’art contemporain, et de remplir sa mission qu’il s’est donné, d’offrir au plus grand nombre l’accès à l’art, le centre Pompidou imagine de nouvelles stratégies : visites actives, soirées rétrospectives avec DJ à la clé, workshops, lectures collectives, partenariats avec des établissements scolaires, utilisations des nouvelles technologies, etc …

Mais le musée ne se limite pas au 4e arrondissement, il s’exporte ! En 2010, il ouvre sa première « antenne » à Metz : première décentralisation d’un établissement culturel public. En 2011 et 2013 c’est une annexe mobile qui est créée avec une vingtaine d’œuvres phares qui se déplacent dans toute la France et en 2015 un pavillon s’ouvre à Malaga en Andalousie, qui exposera 70 œuvres. A chaque fois l’architecture est audacieuse et résolument contemporaine.

Qui n’est pas interloqué par le chapiteau nippon de Metz et ses volumétries hors norme ? Un musée dessiné par un architecte qui réinterroge depuis de nombreuses années l’architecture à travers ses modes de création et de réalisation. Shigeru Ban est célèbre notamment pour avoir créé un système de structures en tube de carton et pour son engagement dans l’habitat temporaire et l’abri d’urgence dans le cas de crise sanitaire et humanitaire.

Le centre Pompidou mobile, lui, est l’œuvre de Patrick Bouchain et son équipe, « un projet architectural, muséographique et culturel », trois structures de type tentes sont associées entre elles afin de s’installer facilement sur n’importe quelles places mettant à l’honneur les œuvres exposées. Il s’agit d’une architecture itinérante, démontable et transportable haute en couleur.

A Malaga, l’expérience doit durer 5 ans afin de tisser un réseau à l’échelle mondiale de « Centre Pompidou provisoire », l’idée est de développer « un concept de développement culturel » selon le président du centre Pompidou, Alain Seban. Un moyen pour le centre Pompidou de rendre présents des artistes de la scène internationale au sein de la collection. Ici, la collection se niche dans un bâtiment contemporain déjà existant, mais c’est le concept d’occupation qui est innovant.  

Si le centre Pompidou a su être audacieux à sa création, cela fait 40 ans qu’il garde cet objectif comme fil conducteur, sachant toujours mettre à l’honneur ses œuvres à travers une architecture stimulante pour qui a la chance de l’expérimenter. Rendant ainsi hommage à cette phrase de Le Corbusier « La construction, c’est fait pour tenir. L’architecture, c’est fait pour émouvoir ».

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// L’équipe de Site et Cité

L’image à la une est une photo prise lors de l’inauguration du Centre Pompidou le 31 Janvier 1977.

Pour aller plus loin:

Des photos historiques.

 Les réactions de l’époque lors de l’ouverture du centre.

Rapport d’activité du Centre Pompidou 2015

 

Le petit son de l’article  » Simian Mobile Disco-Audacity of huge »

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