// UN MONASTÈRE CONTEMPORAIN

Site[et]Cité - Un monastère contemporain

Image à la une de La belle architecture sur Site et Cité, atelier d'écriture pour jeunes architectes

Une fois n’est pas coutume, j’ai eu la chance de retourner en Espagne cet été pour visiter la Galice, il s’agit de la région de Saint-Jacques-de-Compostelle et de ses environs. Outre les splendides paysages et la ville de Saint-Jacques même, j’ai pu découvrir la partie sud de la Galice, limitrophe avec le nord du Portugal. Cette partie de la Galice est ponctuée de vallées encaissées qui forment des ravins sinueux au milieu des montagnes. Les villages se trouvent principalement dans les fonds de vallées et plus récemment, avec l’installation des barrages hydroélectrique, certaines petites localités se sont développées sur les hauteurs. A proximité des gorges du Sil, une rivière qui forme un canyon important,  j’ai fait la connaissance d’un ancien monastère réhabilité en hôtel de luxe. Ces édifices à vocation touristiques qui occupent un site artistique et historique portent un nom en Espagne, il s’agit des Paradores. Celui-ci s’appelle le Parador de San Estevo de Ribas de Sil (le nom de la ville). Le monastère réhabilité à partir de 2004 m’a semblé être un excellent exemple de valorisation du patrimoine par l’activité économique et culturelle. Un savant mélange de culture et un bel exercice architectural.

UN PROGRAMME MULTIPLE

Le monastère, dont la fondation remonterait au moins au Xe siècle, a été remanié à plusieurs reprises et a connu plusieurs communautés – dont des moines bénédictins – qui ont chacune contribué à son agrandissement. Dès le XVIe siècle, le site devient un collège dédié à l’enseignement des arts et il passe entre les mains de différents propriétaires privés à partir de la fin du XIXe siècle. L’ensemble comporte une église, trois cloîtres, les anciens bâtiments conventuels et les communs (sans parler des jardins et du parc). En 2004, le site devient un Parador et fut donc aménagé pour accueillir des touristes. Avant d’entrer dans le détail du parti architectural, je tenais à mettre en lumière la richesse du programme qui fait à mon sens la réussite du projet. Inutile de ne pas le mentionner, un tel édifice s’adresse à une clientèle aisée et le prix des chambres nous le confirme. La première intention du programme était donc bien de créer un établissement de luxe offrant à la fois les services classiques d’hôtellerie, mais également un restaurant et un bistrot, un SPA et des espaces extérieurs de qualité.

La vallée du Sil

La vallée du Sil

Mais la jouissance du site n’est pas réservées aux seuls clients de l’hôtel, la plupart des espaces extérieurs (dont deux des trois cloîtres) a été laissé accessible au public, par ailleurs, la galerie de l’étage du deuxième cloître a été transformée en espace dédié à des expositions d’œuvre d’art (à la manière d’une galerie privée). L’église est également accessible au grand public depuis l’extérieur de l’ensemble monacal. Le bistrot et le restaurant, bien que pratiquant des tarifs relativement élevés, ne sont pas réservés à la clientèle de l’hôtel. Dans l’ensemble, le programme est relativement complémentaire et repose sur des principes louables de mise en valeur économique, culturelle et artistique d’un site à forts enjeux patrimoniaux.

Vue générale sur le monastère

Vue générale sur le monastère

 

MISE EN VALEUR PAR L’ARCHITECTURE

La mise en valeur du patrimoine ne se limite pas à une restauration des parties anciennes, elle passe également par une intervention contemporaine sur le bâti avec l’ajout de façades neuves, la création de nouvelles ouvertures et passages, et le réaménagement intérieur des anciens espaces claustraux. Le parti architectural choisi pour le site est fondé sur une juxtaposition mesurée mais nette des éléments rapportés et des éléments d’origine du site. Le dernier architecte à être intervenu sur les bâtiments est Luis Collarte, en 2010. Le traitement architectural s’appuie sur les formes et les matériaux pour donner une lecture chronologique des espaces. Les parties anciennes et préservées ont été restaurées suivant les dispositions d’origine. Les modifications des dispositions anciennes (comme le percement d’une nouvelle porte) sont réalisées dans le respect des matériaux d’origine pour les maçonneries (en granit), mais avec des créations nouvelles pour les menuiseries (souvent du verre translucide). Les ajouts contemporains, enfin, sont clairement affirmés et tranchent avec le caractère patrimonial des autres ensembles. La palette de matériaux employée pour les interventions contemporaines est limitée : le bois brut (parquet, plafonds, etc.), le verre et le métal (façade rideau sur le premier cloître notamment). Dans un univers où règnent le silence et une certaine forme de spiritualité, les matériaux et les formes font échos au lieu et à son histoire. Aux formes courbes des arcades des cloîtres répondent les lignes droites et épurées de la façade contemporaine. A la régularité du granit et des trames des façades, répondent la sobriété des jardins contemporains du cloître et la transparence des passages et transitions en verre.

Vue du cloître principal avec la façade contemporaine au fond

Vue du cloître principal avec la façade contemporaine au fond

VOYAGE AU CŒUR DU TEMPS

Le parcours entre les murs de l’édifice est à la fois dicté par les déambulations entre les cloîtres et par les usages du site. La visite patrimoniale est ponctuée par la présence d’œuvres d’art in situ ou en galerie, et butte souvent sur les passages réservés à la clientèle, comme si certains accès étaient toujours préservés pour les moines. Jamais, même lorsqu’il s’agit d’une façade entière, l’intervention contemporaine ne vient perturber la lecture de l’édifice d’origine, la transparence et la finesse des matériaux employés laissent toujours apparaitre en filigrane la structure maçonnée traditionnelle. Qu’il s’agisse d’un franchissement physique ou d’une perspective visuelle, l’appréhension du site est rythmé par ce jeu de transparence et de matériaux sobres. L’accessibilité partielle mais conséquente du site renforce le caractère labyrinthique, suscite la curiosité et invite à l’exploration. Le dernier cloître n’est ainsi pas accessible physiquement mais on peut l’apercevoir à plusieurs reprises.

Difficile d’imaginer valoriser le patrimoine sans investissements massifs et sans rentabilité économique projetée, mais cet exemple, même s’il n’est pas parfait et aurait pu davantage s’ouvrir au public moins aisé, a le mérite de rendre accessible et public un site pourtant privé. Patrimoine et architecture contemporaine forment souvent un couple moteur et dynamique qui dialogue avec panache et matière. Un récit historique hors du temps, et pourtant bien ancré dans son époque.

// Grégoire BRUZULIER

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Le petit son de l’article : Fakear – La lune rousse

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