« Je vois ces effroyables espaces de l’univers qui m’enferment, et je me trouve attaché à un coin de cette vaste étendue, sans que je sache pourquoi je suis plutôt placé en ce lieu qu’en un autre, ni pourquoi ce peu de temps qui m’est donné à vivre m’est assigné à ce point plutôt qu’en un autre de toute l’éternité qui m’a précédé et de toute celle qui me suit. Je ne vois que des infinités de toutes parts, qui m’enferment comme un atome et comme une ombre qui ne dure qu’un instant sans retour. »
Blaise Pascal, Preuves par discours II (Laf. 427, Sel. 681)
HORIZON ET INFINI
Nous continuons la nouvelle ligne éditoriale des « images-récit » qui nous permet d’introduire une série d’articles sur un thème ciblé. Après la série sur le bois, nous voici aujourd’hui plongés dans un paysage désertique observé depuis le sommet d’un escabeau. L’affiche de la biennale d’architecture de Venise 2016 surprend et interpelle.
Elle surprend d’abord par l’absence d’objets architecturés, hormis un modeste escabeau, frontière étrange entre un paysage infini à l’horizon perdu et une action somme toute naturelle : prendre de la hauteur pour admirer, observer ou scruter. Le ciel occupe tout l’espace de l’image, créant une rupture d’échelle significative entre le sol, désert aride et sans aspérité, et l’atmosphère bleutée, horizon sans limites et sans bornes.
La femme penchée au sommet de l’escabeau est vêtue d’une robe légère à fleur et d’un bob. Elle revêt les attributs de la civile endimanchée en promenade ou de la touriste à la recherche d’une architecture désertique, personnage modeste dans une étendue grandiose. Mais que regarde-t-elle vraiment ? On ne perçoit pas l’assise de l’escabeau sur le sol, la robe flotte au vent et la femme apparait comme suspendue au-dessus de ce paysage, les bras tendus mais fermes, posture dynamique mais dans l’attente. Elle ne regarde peut-être pas le paysage, on peut facilement imaginer qu’elle attend ou qu’elle s’interroge.
SUR LE FRONT
Au premier abord, c’est avant tout le paysage qui domine l’espace de discours de l’image. Un paysage aride, certes, mais un territoire malgré tout. Le vide ou l’absence de formes bâties ne signifie pas l’absence de discours, bien au contraire. Où sont les architectes ? Peut-on les observer ? Existent-ils vraiment dans cet espace sans vie ?
Et puis le titre vient nous donner quelques clés de lecture. From the front. Voilà où nous sommes, sur le front. Ce front-là n’est pas une frontière ou un désert transformé en lieu touristique, c’est une étendue inexplorée, peut-être inexplorable pour l’instant. Un terrain d’expérimentation de l’architecte ou de l’aménageur qui ne peut se nourrir de belles références ou de belles images. Il s’agit du terrain de l’urgence, du spontanée, de la guerre, des réfugiés, des bidonvilles, des camps d’infortune, de tous ces lieux, sur le front, qui n’appellent pas une architecture savante, mais qui abritent pourtant des gens.
Où sont les architectes ? Comment peuvent-ils agir sur le front ? Ce n’est ni un terrain de jeu, ni un défis, mais bien une réalité à laquelle il nous faudra faire face : l’urbanisme de frontière, l’architecture éphémère ou de l’urgence constituent aujourd’hui les formes les plus répandues de l’architecture produite. Le modèle urbain occidental ne répond pas à ces problématiques et l’organisation des sociétés non plus, nous ne le voyons bien avec les camps de réfugiés en Europe. Mais d’ailleurs, cette femme qui cherche peut-être la ville ou attend l’architecture, ne trouvera rien. Car ces formes n’existent pas sur le front, et restent encore à inventer, principalement dans ses logiques sociales et économiques. Les bras tendus, les paumes vers le bas, chercher un équilibre fragile, poser une réflexion et apaiser les tensions.
Tous le front ! dans cet effroyable espace de l’univers… Comme un atome et comme une ombre qui ne dure qu’un instant, comme un architecte qui construit l’éphémère et affronte l’urgence, sans retour.
Le petit son de l’article : General Elektriks « Raid the Radio »
c’est juste magnifique !
J’aimeJ’aime