// ARAVENA : DU PRITZKER AUX CRITIQUES

Aravena © Anthony Cotsifa

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Comme pour chaque édition, la Biennale de Venise fait parler d’elle. Au programme, un thème équivoque, des pavillons d’exception et tout cela sous la houlette d’un commissaire bien connu issu du milieu de l’art et/ou de l’architecture. Cette année, les rênes ont été remises à l’architecte Chilien Alejandro Aravena. Cette nomination révélée en janvier 2016 n’a pas manqué de faire grand bruit et chacun de célébrer l’architecte pour son talent et son engagement dans les causes citoyennes et militantes.

Alejandro Aravena continue ainsi une prestigieuse carrière couronnée en 2008 par le prix du Global Award for Sustainable Architecture, félicitée par une place dans le jury du prix Pritzker de 2009 à 2015 puis récompensée par ce même prix, l’équivalent du Nobel de l’architecture, en novembre 2015. Devant tant de concordance dans la célébration du talent d’Alejandro Aravena, il est temps de se pencher devant ce phénomène d’architecture et de dresser le portait de l’architecte.

Cette série sur la Biennale de Venise a donc été l’occasion pour moi de chercher davantage d’informations sur l’architecte. Je connaissais dans les grandes lignes ses aspirations et son projet phare de la Quinta Monroy à Inquique, quelques articles dans la presse m’avait instruit, mais je n’avais jamais pris le temps d’approfondir mes connaissances et de croiser les données. Dans mes recherches, j’ai retenu tout particulièrement l’article d’Olivier Namias qui dresse un portrait convainquant et plus nuancé que prévu. Publié pour D’A le 19 janvier 2016, il interpellait ainsi le lecteur : Aravena est-il le héros que les architectes attendent désespérément ?

 

DEMI MAISON

«Nous préférons construire la moitié d’une bonne maison plutôt qu’un mauvais logement»

Pour comprendre l’aura que suscite l’architecte, il faut avant tout parler de sa pratique architecturale et de son engagement social. Fondateur en 2001 de l’agence Elemental, Alejandro Aravena s’est fait connaître en 2004 par le projet de la Quinta Monroy. Intervenant dans le cadre de la restructuration d’un bidonville en habitat durable, l’agence a imaginé un principe de “demi-maison”, une moitié construite avec le financement de la maitrise d’ouvrage notamment la base de viabilité du projet (clos couvert, réseaux d’eau…), l’autre aménageable dans le temps par l’habitant.

Ce système concentre ainsi le budget alloué pour construire moins mais mieux, une qualité d’économie qui aurait permis de construire cent maisons au lieu des trente projetées. Autre avantage, la concertation avec le public. Par ces « demi-maisons », il est offert à l’habitant la liberté de prendre part à la construction de son logement. Les travaux peuvent être accomplis dans un temps plus long, en fonction des capacités financières des usagers ou selon la créativité que génère l’économie de moyens. L’intelligence collective et spontanée des habitants est un ciment plus fort que n’importe quel projet imposé.

Par ce projet, Alejandro Aravena renverse les codes établis par le milieu. Loin d’un grand geste architectural, il initie un mouvement de construction et s’appuie sur le savoir-faire des habitants pour terminer les bâtiments. Ainsi il les associe au projet et met en avant leur rôle dans l’avenir du site comme acteurs du changement. Cette architecture sociale peut aussi être intéressante en architecture d’urgence. En 2010, Elemental reprend le concept des demi-maisons pour reconstruire en un temps record la petite ville de Constitution, ravagée par un tsunami et un tremblement de terre.

Alejandro Aravena se présente ainsi comme un architecte engagé, conscient des défis de notre époque bousculée par des crises en série. Cette mobilisation se retrouve dans le thème choisi pour la Biennale de Venise : « Reporting from the front » se plait à interroger les architectes sur leurs pratiques et les mettre face à leurs responsabilités politiques et sociales.

« Apprendre grâce à l’architecture malgré le peu de moyens disponibles, exalte ce dont nous disposons et non pas ce qu’il nous manque. »

quinta-monroy-housing-2004-iquique-christobal-palma

La Qunita Monroy, à Iquique. © Christobal Palma

 

L’OR NOIR DU BATIMENT

Devant ce premier portrait, difficile de prendre en grippe Aravena l’architecte samaritain. La presse généraliste s’est emparée de lui lors de ces dernières actualités publiques et a glorifié à tout va son « souhait d’éradication de la pauvreté ». Elle n’a pas manqué pas non plus de souligner son « jeune âge ». Eh oui, à 47 ans, l’architecte chilien passe partout pour un « encore jeune », comme si cela était une qualité irréfutable de plus pour féliciter son travail. Jeune pour certains, il reste plus vieux que moi et que beaucoup d’autres. La jeunesse est relative à celui qui utilisera l’expression, alors ce n’est pas un fait intéressant en soi. Ce qui éveille ma curiosité est surtout l’étonnement qu’on porte pour l’âge d’Alejandro dans un milieu où l’accomplissement d’un architecte se joue à l’âge de la retraite. Sommes-nous plus talentueux et audacieux à soixante ans passé ou seulement moins regardant pour les jeunes (vraiment jeunes) talents ?

Cet aparté mis à part, revenons à notre portrait. Positif jusque là, Olivier Namias met en avant quelques arguments nouveaux dans la description de l’agence et notamment son alliance avec le groupe pétrolier COPEC. A l’occasion du projet de la Quinta Monroy, l’agence s’est rapprochée de l’entreprise pour recruter les derniers fonds nécessaires à la réalisation du projet public. Dans la foulée, le groupe est entré dans le capital de l’agence à hauteur de 40% des parts. Elemental est ainsi devenu un des actifs du groupe AntarChile, une des compagnies les plus importantes du monde (classée au 931e rang par le classement Forbes en 2016).

L’autre partenaire de choix révélé dans l’article est l’université catholique du Chili (Pontifica Universidad Catolica de Chile). Le journaliste reporte que « L’institution détient une partie des 60 % du capital restant de l’agence avec Aravena et Andres Iacobelli Del Río, son associé devenu entre-temps ex-sous secrétaire d’État au Logement et à l’Urbanisme du gouvernement Piñera.» Ce co-actionnariat fait de l’agence une entreprise détenue en majorité par des groupes privés (à supposition que la répartition des parts restantes entre les trois entités laisserait au moins 11% à la PUC). En France, cette supposition de financement des agences d’architecture avait été rejetée massivement par les architectes défendant la détention majoritaire des parts aux gens du métier.

Ces associations interrogent le grand écart fait par l’agence entre une vocation sociale et une réalité du carnet de commande garantie par l’investissement de grands groupes qui l’engagent (sans concours) pour leurs projets de construction. Ainsi Elemental peut faire valoir dans son book les constructions de plusieurs établissements universités privés, tous plus beaux les uns les autres, dont les budgets n’ont certainement pas été ‘sociaux’. Avec ces projets, Aravena a pu peaufiné sa signature architecturale et fort de leur postérité et de leur qualité, il s’est élevé au rang où il est maintenant : Biennale, Pritzker etc..

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PROFIT D’INFLUENCE

« L’un des piliers sur lequel repose l’exaltation pour Aravena tient à l’envie de la société et du milieu architectural de croire dans des recettes miraculeuses et instantanées tout en se désintéressant de leurs résultats réels. »

Olivier Namias met en avant dans son article davantage de points sombres autour de la carrière et de la gestion d’Elemental par Alejandro Aravena (notamment le devenir pas si glorifiant des quartiers ayant adopté le concept des demi-maisons – pas de résumé ici mais le détail à lire sur D’A si cela vous intéresse). Sans critiquer ouvertement les positions de l’architecte, il énumère des contradictions et celles-ci posent question. Est-il paradoxal de porter un engagement social quand notre notoriété publique nous place sur une autre sphère ? Quand on devient un starchitecte, devons-nous nous contenter que des projets exceptionnels par leur maitrise d’ouvrage (sièges de multinationales, projets publics d’envergure …) et abandonner les projets modestes?

A profil comparable, notre très estimé Patrick Bouchain, l’architecte social français, à délaissé la scène internationale pour se concentrer sur des projets locaux, dont il transforme tout l’expérience de projet (concertation/ conception/ réalisation) en aventure social et humaine. Loin de la frénésie des projets multiples, il sélectionne ceux qui le tiennent à cœur, avec pour conséquence une production sur l’ensemble de sa carrière moins conséquente en quantité de bâtiments, et chacun de juger la qualité !

Pour des passionnés d’architecture, il n’existe pas de « sous-projet », tout objet peut devenir un sujet et cristalliser une réflexion urbaine, sociale, ou architecturale. Ce qu’on ne peut nier, c’est tout de même le rôle politique endossé maintenant par Alejandro Aravena. Le côtoiement de certaines sphères du pouvoir donne accès à des moyens permettant de mettre en œuvre plus facilement ses idées et d’en devenir le médiateur. En étant promu la même année Prix Pritzker et commissaire de la Biennale, Aravena cimente son influence et en profite pour ouvrir à large échelle le débat sur le rôle social de l’architecture.

Dans une société de marché aussi forte qu’à l’heure actuelle, on peut se douter que le combat d’un homme parmi une foule ne sera pas sans soumissions ni contrepartie. La Biennale ou le Pritzker sont des industries, elles récompenses et honorent, mais réfléchissent aussi en terme de profits et de valeur ajoutée. Alejandro Aravena n’est peut-être pas parvenu là blanc comme neige et l’engagement dont il a su faire preuve sera peut-être moins soutenu dans le futur, mais en attendant l’exemple est donné. Après une génération d’architectes-créateurs ayant contribué à libérer la forme (Frank Gehry, Zaha Hadid), l’architecture devient utile, humaine et durable. Un tel combat ne peut être porté seul, ne tuez pas l’émissaire.

 

// CDu

Illustration d’en-tête : Aravena  photographié dans les locaux d’Elemental par  Anthony Cotsifa

Le petit son de l’article : Peter Peter – « Noir Eden »

 

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