// A LA RENCONTRE DES FRONTS

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Image à la une de La belle architecture sur Site et Cité, atelier d'écriture pour jeunes architectes

Après vous avoir présenté la thématique proposée par la biennale d’architecture de Venise 2016 à travers l’image commentée de Grégoire, puis du commissaire général Alejandro Aravana par CDu la semaine dernière, nous nous plongeons cette semaine au cœur des pavillons et de leur interprétation de la thématique « Reporting from the front ».

Les sujets abordés sont vastes et reflètent en grande partie les préoccupations actuelles des pays qui les traitent, car derrière l’interpellation du thème se cache des réalités diverses : économiques, sociales, écologiques … Un vaste programme en perspective, excessivement stimulant !

PETIT TOUR D’HORIZON

S’il arrive que la biennale d’architecture de Venise propose des projets d’envergure, cette fois elle opère une réduction des échelles et met en avant des projets plus modestes. Ces projets répondent aux crises actuelles, mettant ainsi à l’honneur une architecture pour les moins « favorisés », là où l’argent est un réel enjeu dans la création. Il ne s’agit pas d’une architecture au rabais ou misérabiliste mais d’une architecture stimulante puisqu’il s’agit pour ceux qui la mettent en œuvre d’un engagement profond. Comment offrir le meilleur avec pas grand-chose ? Tous les coups sont permis pour répondre à ce cahier des charges lourd de sens. S’érige alors une architecture qui s’adapte au monde, qui change, remettant en question un modèle parfois vieillissant ou figé. Car la précarité de ceux pour qui les architectes travaillent est également une réalité pour les architectes en question, la profession à travers le monde étant touchée par un ras-de-marée économique. Travailler en tant qu’architecte n’est plus une évidence, la redéfinition du modèle est également une question de survie pour la profession. Se créé ainsi, à la biennale, un dialogue entre engagement professionnel et/ou personnel des architectes et des projets qu’ils réalisent.

La thématique étant ouverte, les réponses se sont faites variées et nous immergent dans le quotidien architectural des pays présentés.

Le Venezuela dévoile l’impossibilité pour les jeunes architectes d’accéder à la commande dans un pays où le contexte économique est particulièrement lourd, les poussant à travailler pour les populations les plus précaires du pays. Des projets atypiques et ambitieux voient ainsi le jour sur le territoire là où on ne les attend pas !

L’Arménie quant à elle tente de comprendre et de lire le « paysage architectural de l’indépendance », en questionnant et en identifiant la notion d’héritage, dans un pays qui connait une vraie crise de l’architecture, puisque les jeunes se détournent de la profession, laissant le pays dans un chaos brumeux.

La Pologne place le front sur le chantier et pose la question de la responsabilité que cela implique de bâtir, dans le temps, dans l’espace mais aussi socialement. Et le pavillon donne une place toute particulière à ceux qui érigent les murs : les ouvriers en suivant notamment des ouvriers illégaux.

Le Pérou, dans une scénographie des plus stupéfiante traite de la survie de la forêt amazonienne et des populations qui y vivent. Il propose une communication entre « occident et Amazonie » à travers des écoles, lieux de partage des savoirs dans les territoires les plus reculés de la forêt.

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LES NOUVELLES DU FRONT ALLEMAND

La Pologne, la Finlande, l’Autriche donnent une place particulière à la question de l’accueil des migrants, une réalité qui secoue une grande partie des pays européens. Le pavillon tapant le plus fort est celui de l’Allemagne, avec une scénographie choc : un pavillon complètement ouvert avec vue sur la lagune, à l’image d’une maison ouverte, des briques encore sous plastiques attendent ça et là de combler les ouvertures à la fin de la biennale, d’autres entassées comme des gravas illustrent la porosité des frontières et des villes.

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@Amc

L’Allemagne interroge le rôle à la fois social et politique de l’architecture au cœur d’une crise internationale. Les enjeux liés à l’accueil des migrants ne sont pas seulement liés au bâti mais sont aussi et surtout humains. Trop souvent, on minimise le caractère traumatisant de la migration, l’obligation de partir, d’abandonner, de quitter, non pas par choix mais par survie, puis la route, les voyages dangereux, et enfin la terre d’accueil, pas toujours si accueillante, la terre hostile qui repousse plus loin vers la terre du vrai accueil, puis la bataille pour accéder au statut (je vous renvoie à l’article « Un monde de camps » de CDu). Le sujet choisi par le pavillon allemand est ce moment et ce lieu de l’accueil dans le parcours de celui qui migre. Cet espace de transit, cette ville tampon, de ville dans la ville.
Pour l’Allemagne, accueillir ces migrants dans les meilleures conditions c’est permettre la mise en valeur du potentiel offert par ces hommes et ces femmes arrivés d’ailleurs avec leurs connaissances, leurs savoir-faire, leurs sensibilités, leurs histoires et leurs cultures riches. Ne pas les nier et au contraire les valoriser et les accepter reste pour l’Allemagne un atout majeur pour l’avenir.

Leur proposition « Making Heimat. Germany, Arrival Country » traite à travers le mot “Heimat” de la notion d’appartenance, non seulement celle à un pays mais surtout à un chez soi. C’est une invitation à faire de l’Allemagne un chez soi, cette fameuse terre d’accueil chaleureuse et réconfortante qu’une personne arrachée à sa vie devrait avoir le droit de trouver quand elle n’a d’autre choix que de partir. La démarche ici se veut humaniste, car il s’agit bien de gérer, à travers la question architecturale, la question du vivant.

Le pavillon illustre ainsi la réalité d’un pays d’accueil et pose les bases d’une réflexion ouvrant le débat sur l’architecture comme processus d’intégration, afin d’offrir des éléments théoriques et pratiques aux décideurs politiques. Car avec plus d’1 million de personnes à reloger, le pays doit bâtir rapidement et bien, et doit soutenir les régions et les villes d’accueil afin d’offrir une réponse globale de qualité.

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LA FRANCE UN PEU MOINS MOCHE

La question de la migration n’a pas été soulevée chez les Français, et certains le leur reprochent. A l’heure où Calais est en cours de démantèlement et où les plus grandes villes du pays voient le nombre de personnes à la rue augmenter en flèche en raison d’un manque de place dans les dispositifs d’accueil, il aurait très certainement été de bon ton d’aborder ce sujet. Une question qui mériterait d’être soulevée, il est vrai, quand on sait qu’encore lundi on soupçonne une tentative volontaire d’incendie sur le foyer d’urgence du bois de Boulogne pouvant accueillir jusqu’à 200 personnes, et contre lequel les riverains se battent quotidiennement pour empêcher son ouverture.

La question migratoire est un sujet excessivement sensible en France, faisant le grand écart entre haine profonde et humanisme à toute épreuve. Une question centrale qui n’a pas fini de déchirer la population française mais que le collectif n’a pas traité, préférant s’attacher à un sujet que nous abordons souvent sur Site[et]Cité, « la France moche ». Une question tout aussi importante que la question migratoire car il s’agit bien là d’une réalité sociale, économique et écologique majeure à l’heure où nos campagnes continuent leur processus de transformation tout azimut.

Le collectif français rassemble l’agence Obras, avec Frédérique Bonnet, Grand Prix de l’urbanisme 2014, et des jeunes diplômés lauréats de l’édition 2014 des Albums des jeunes architectes et paysagistes (AJAP). Le feu des projecteurs est ainsi tourné non plus sur les dinosaures que sont nos star-architectes, mais sur la jeune génération. Celle qui a commencé à faire de l’architecture avec la crise économique et qui a de fait une autre vision de ce que doit être l’architecture. Celle qui sort des écoles d’architecture et qui réinterroge ce modèle qui parle de jeunes architectes quand ces derniers fêtent en réalité leur 50 ans après avoir pratiqué dans l’ombre durant 30 ans, comme le soulignait très bien CDu la semaine dernière.

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Nouvelles richesses, le pavillon français  @Amc

 

Ainsi ce jeune collectif propose un projet intitulé « Nouvelle richesse ? » et met en avant les petits projets, ceux que l’on ne voit pas mais qui font notre quotidien, qui conditionnent nos vies, des projets bien pensés, qui nous facilitent la vie …ou non. Les propositions développées zooment sur les territoires périurbains et ruraux, sortant ainsi des pages de magazines, des gros plans sur nos grandes villes et des projets d’envergures. Des propositions qui se concentrent ainsi sur l’architecture de notre quotidien, mettant en lumière le savoir-faire français, le potentiel des territoires, et présentent également le travail mené par tous les acteurs de la construction, qu’ils soient élus, citoyens, entrepreneurs etc…

Les 4 salles aux titres évocateurs mettent en lumière différentes étapes du montage de projet : « Territoire » expose 10 lieux transformés à explorer, « Récit », expose des récits de rencontres nécessaires à l’élaboration d’un projet, « Savoir-faire » met en lumière la matérialité des projets à travers des dessins explicatifs, des photographies et des maquettes. Et enfin « Terreau » un terme qui cache beaucoup de sens : «les écoles d’architecture sont pionnières, « au front » sur des sujets peu explorés qui correspondent tous à de grands besoins : l’aménagement des territoires ruraux, des territoires périurbains, de cette « ville diffuse » un peu malmenée, l’habitat informel, l’habitat pour les plus pauvres d’entre nous, la constitution de « circuits courts » de la construction, l’exploration des capacités des filières locales, etc. Les conseils aux territoires, qui interviennent en amont auprès des élus comme des citoyens et des institutions, travaillent sur les mêmes sujets. Ce bouillonnement constitue un « terreau » inépuisable, preuve de la vivacité de la réflexion, de l’engagement des architectes sur les défis de société. […] Les initiatives, les recherches, les ateliers, les expériences sont cartographiée, mis en situation dans leur géographie. Les images et les textes qui nous ont été transmis y sont aussi projetés. »

Là encore, nous sommes bien loin des têtes d’affiches de l’architecture françaises, des noms connus et reconnus, des projets titanesques déconnectés de la réalité sociale et économique du pays. Une proposition, en fin de compte profondément engagée.

Des nouvelles du front donc pas toujours très réjouissantes mais qui montrent qu’avec l’intelligence collective et l’envie il est possible de faire émerger du beau, de la qualité, du sensible, toujours plus stimulant, et ce, à travers le monde ! Une belle thématique pour nous en tout cas, qui aura permis d’aborder des sujets centraux dans nos questionnements d’architectes mais également de citoyens, rappelant au plus grand nombre que l’architecture relève de multiples dimensions à la fois humaines, économiques, politiques, sociologiques, culturelles, écologiques et qui devrait toujours être pensé et conçu avec humanité.

// APG

Pour aller plus loin :

Le travail du pavillon Coréen : http://www.lecourrierdelarchitecte.com/article_7425

Celui du pavillon Ukrainien, qui donne des nouvelles du front, du vrai : http://www.lecourrierdelarchitecte.com/article_7425

Le regard de Télérama sur le pavillon français : http://www.telerama.fr/scenes/biennale-de-venise-la-france-veut-mettre-a-l-honneur-le-peri-urbain,141784.php

Et surtout, sur la France Moche : http://www.telerama.fr/monde/comment-la-france-est-devenue-moche,52457.php

Le petit son de l’article : Brunos Mars _ « 24K Magic »:

Une réflexion sur “// A LA RENCONTRE DES FRONTS

  1. Le temps est venu des architecte qui ne construisent pas pour leur propre gloire mais au service de l’autre ! il a déjà existé et n’est jamais vraiment mort mais il est juste de le remettre à l’honneur .

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