// TOUS SUR LE PONT ! – l’image-récit #3

Le Pont du Diable à Olargues, dans le département de l’Hérault. Une belle entrée en matière pour un nouveau sujet qui n’est pas si éloigné de celui que nous venons de traiter : le front, j’y reviendrai. Le pont, dans son sens premier, c’est l’ouvrage d’art qui permet le franchissement d’une topographie contrainte (un cours d’eau, un relief, un ravin, etc.). Il s’agit donc d’un objet architectural qui assure la liaison entre plusieurs espaces.

ŒUVRE HUMAINE

Le pont d’Olargues date du XIIe siècle, c’est un ouvrage d’architecture romane remarquable, bâti en moellons de pierre calcaire et pierre de taille. Un pont traditionnel avec une arche centrale en plein cintre et deux arches latérales qui reposent directement sur les culées et permettent le report des charges sur les extrémités, de même qu’elles augmentent la portée du tablier. Ne l’oublions pas, un pont est d’abord une prouesse technique et ingénieuse qui consiste à bâtir un élément d’architecture dans un site à la fois contraint et non stable. La rivière en fond de vallée peut se transformer en torrent pendant la fonte des neiges, tandis que les berges, soumises à l’érosion naturelle, peuvent rompre ou s’élargir. Pourtant, 900 ans après, le Pont du Diable est toujours là. C’est probablement la souplesse de la maçonnerie, induite par la taille des moellons et la massivité des culées qui a permis au pont de résister au temps. Celui-ci cumule aujourd’hui, avec son ancienneté, une monumentalité double : œuvre technique et objet d’histoire.

PASSAGE SUR LE PONT

Le pont est donc avant toute chose un point de passage, un lieu de franchissement. Au-delà de l’aspect proprement matériel, il induit ainsi une relation de transition et de communication entre l’un et l’autre de ses côtés. Souvent, dans le développement d’une ville, un pont est une borne de croissance qui va permettre à la ville de se développer au-delà de la limite naturelle, dans des faubourgs « au bout des ponts ». A une échelle plus grande, le pont assure le passage d’un plateau à l’autre par une vallée ou plus généralement d’une entité paysagère à une autre. Cette fonction de passage a pour conséquences de transformer le pont en un point de rencontre des activités économiques, artisanales et hôtelières. Le pont ne bouge pas, mais il entraine une dynamique d’activités très forte. Autrefois, on devait souvent acquitter un droit de péage pour franchir un pont, l’objet devenait par ce système financier un générateur d’économie important qui a parfois entrainé la construction de maisons d’habitation et de boutiques sur le pont lui-même.

FRONTIÈRE SUR LE PONT

Par une logique inverse qui prend malheureusement son sens dans le cas de conflits armés ou de définition de limites, le pont peut devenir une frontière que l’on chercher à franchir ou à éviter, à contrôler ou à détruire. Ce n’est pas tant l’objet qui forme la frontière, que l’élément topographique qu’il cherche à franchir et la portée symbolique de sa présence. Être un point de passage entre deux mondes c’est déjà dessiner une frontière. Au « bout du pont » se trouve l’étranger, l’autre, celui qui n’a pas la chance d’être du même côté que nous. Cet ouvrage qui devait relier, et qui accentue malgré lui la séparation entre deux entités, nous rappelle que l’architecture n’est jamais exempte de symboles et que l’acte de création n’a pas guère de rapport immédiat avec un usage décrété. Le pont pratiqué, lorsqu’il est contrôlé et se transforme en porte, dessine en lui tous les stigmates du mauvais mur, de la frontière artificielle, du monde dominé par la notion de dualité.

Rappelons-nous alors que le pont n’est qu’un passage, une transition vers et non un objet contre. Continuité physique, continuité visuelle, prouesse technique qui ne contraint ni la navigation, ni l’usage multimodal du passage, le pont est un objet architectural d’une richesse incroyable, dont la symbolique dépasse souvent l’acte de création.

Regardez les ponts qui vous entourent, demandez-vous pourquoi ils sont ici et non ailleurs, comment ils sont construits, observez les deux côtés, les espaces reliés, vous comprendrez alors que les ponts nous racontent une histoire de l’architecture, du territoire, de la limite et du franchissement, c’est-à-dire de l’avenir.

// Grégoire Bruzulier

Le petit son de l’article : La Femme « Sphynx »

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