Ce vendredi, nous continuons de traiter le thème des mégalopoles africaines. Après Lagos avec l’image-récit de Grégoire, plongeons dans le quartier de Manshiyat Naser au Caire par la description qu’en fait El Seed dans sa conférence TED. Par ce récit l’artiste franco-tunisien rapporte plus qu’une expérience artistique, il révèle l’aventure humaine vécue avec ce projet.
Les conférences TED sont toujours une bonne source de savoirs et d’expériences, nous vous avions déjà présenté sur Site[et]Cité (relire : comment construire pour des enfants). Dans celle-ci, l’artiste eL Seed raconte le montage de son œuvre
ANAMORPHOSE
A l’origine, l’intention de EL Seed était d’apporter une œuvre de l’art dans un quartier pauvre et négligé. Ce geste humaniste voulait dépasser les frontières restreintes des musées ou des places d’art traditionnelles, apporter de l’art à ceux qui en sont privés et mettre en lumière une communauté isolée. Il y arrivera mieux que prévu.
L’œuvre imaginée par l’artiste est un tableau éclaté, peint sur une cinquantaine d’immeubles du quartier. La représentation tourne autour d’un travail calligraphique autour de la citation suivante traduite de l’arabe : « Quiconque voulant voir clairement la lumière du soleil, doit d’abord se frotter les yeux. »
Pour réunir les facettes du tableau et être en mesure de le lire, il faut se trouver à un point particulier défini par l’artiste, en l’occurrence au sommet du Mont Mokattam. Le mont Mokattam est la fierté de la communauté, il abrite le monastère Saint Simon, connu pour une des plus grandes églises rupestre creusée à même la pierre.
El Seed n’aurait pu trouver de meilleure forme artistique pour mettre en avant la complexité du monde et porter un message d’ouverture d’esprit et de bienveillance. L’anamorphose met en avant les différents prismes de lecture qui constituent une image. Une communauté n’est pas une mais plusieurs. On ne peut réduire le quartier de Manshiyat Naser aux déchets et à la saleté des rues. Il faut analyser avec subtilité les trajectoires personnelles, détailler les histoires, étudier l’approche économique et humaine d’un environnement qui n’est que le décor de plusieurs espaces de vie.
RENCONTRE
El Seed développe dans sa conférence le récit de son travail dans le quartier et les nombreuses rencontres avec les habitants du quartier, qui ont fait basculer son projet artistique vers une dimension humaine qu’il n’avait pas prévu. Pendant toute la période de réalisation de ses peintures, il découvert les habitants du quartier de Manshiyat Naser, il a apprit à les connaître, à comprendre leurs habitudes de vie, leurs ambitions. En définitive, il a partagé avec eux bien plus que la peinture et du thé.
Contrairement à ce qu’on peut lire ailleurs sur les quartiers comme Manshiyat Naser, ce récit n’est pas un récit d’apriori élaboré à partir d’analyses extérieures. El Seed présente un point du vue intérieur et personnalisé. Les rencontres avec les gens du quartier lui ont permis de mettre en perspectives ses idées et de sensibiliser son approche.
Ainsi il comprend que les déchets qui l’avaient en premier lieu rebuté, ne sont pas un signe de saleté et d’abandon, mais un business et une économie dont profitent les habitants. Les déchets ne sont pas leurs déchets, mais ceux des autres cairotes.
La conférence diffuse un message de tolérance et de paix qui est toujours très agréable à entendre. L’art et l’architecture partagent ce don de modifier les paysages, mais la transformation la plus importante ne réside pas dans la forme, elle réside dans l’expérience humaine acquise et développée entre les acteurs du projet.
Et n’oubliez pas : « Quiconque voulant voir clairement la lumière du soleil, doit d’abord se frotter les yeux. »
Le petit son de l’article : Adam Naas – « Fading Away »