// ANTICIPATION – DU RÊVE AU REEL

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Pour commencer cet article, posons-nous une question : quel sera le monde demain ? Comment seront les villes, comment vivrons-nous ? Quels seront nos envies, nos besoins ? A cela, on peut y répondre de plusieurs façons, libérée ou réfléchie, fantaisiste ou terre à terre, alarmiste (façon Before the flood) ou optimiste. Cet exercice de projection dans le futur est un sujet récurrent d’inspiration. La littérature, le cinéma et l’architecture (Grégoire nous l’a rappelé avec Yona Friedman la semaine dernière) regorgent d’œuvres d’anticipation, un genre à part à distinguer de la science-fiction. Les œuvres d’anticipation dressent le portrait d’un monde futuriste, mais pas nécessairement fantastique, dans lequel les sociétés humaines ont évolué pour le meilleur et pour le pire. Vous avez tous en tête vos références préférées, pour en lister quelques-unes en exemple, je citerais parmi les miennes : Ravage de René Barjavel, Blade Runner de Philip K. Dick, La route de Cormac McCarthy, mais aussi presque l’intégrale de Jules Vernes, la série Terminator de James Cameron, Orange mécanique de Stanley Kubrick, et j’en passe, et j’en passe … La mine est d’or !

Mais laissons de côté la fiction, car les questions d’anticipation modulent plus qu’on ne le croit nos actions quotidiennes. Il n’est pas d’investissement qui ne se projette dans le futur pour évaluer sa valeur de rentabilité. En architecture, la notion est fondamentale et bien évidement complexe. Les bâtiments ont une durée de vie très longue, ce qui fait que la construction survivra à son bâtisseur et à son commanditaire pour demeurer dans le paysage. Un cadeau ou un poids lourd pour les générations futures (voir notre article). Alors afin de prendre aujourd’hui les bonnes décisions pour demain, questionnons-nous intelligemment sur la capacité d’avenir de nos productions.

ANTICIPER, VOIR AU-DELÀ

Lors d’un premier rendez-vous avec un client, on commence par l’interroger sur ses vues du futur bâtiment (une maison : comment ? pourquoi ? pour qui ?). Les réponses obtenues ne sont pas toujours aisées et presque jamais complètes. A l’expression de besoins actuels, il est toujours nécessaire de donner de la perspective. Et demain qu’en sera-t-il ? Quand les enfants seront partis, comment reconstruirez-vous un habitat intime ?

Un projet d’architecture nait de la synthèse des contraintes. Il y a celles liées au site, régulées par les règlements officiels d’urbanisme, la topologie, l’orientation au soleil, il y a les contraintes techniques des règles d’art de la construction, les éléments du programme, le budget alloué à l’opération. Des valeurs très concrètes auxquelles s’ajoute le besoin de postérité, qui n’existe pas tant dans notre ambition d’éternité (épargnez-moi le délire de l’architecte démiurge, vous nous connaissez mieux que cela !) que dans le devoir d’une architecture durable.

Anticiper est une nécessité. Il s’agit de regarder au-delà de la situation présente pour amorcer déjà l’adaptation aux situations de demain et, au passage, économiser des énergies, limitées nous le savons. A force de regarder vers le futur, anticiper revient à être véritablement ancré dans son temps. Il faut être attentif aux facteurs de mouvement du monde (offres, demandes, conditions économiques, sanitaires, évolution des cellules familiales, évolution de la relation au paysage, à l’habitat, à la sociabilité …) et les devancer.

DONNER FORME A SES RÊVES

Cet exercice est périlleux, car toute proposition est un pari. On a beau croire en l’innovation et au progrès, s’épauler des meilleurs analystes et s’armer de la plus grande bienveillance, chaque projet assume une part de risque et peut réussir ou se tromper.  

Certains projets ambitieux proposent des formes architecturales originales qui tranchent radicalement avec la structure urbaine existante. En dehors des appréciations esthétiques subjectives, il est important de ne pas opposer anticipation et intégration urbaine. Les villes se construisent par l’accumulation d’expériences qui ont toutes des temporalités différentes, mais forment pour un temps une histoire commune. Rien ne sert de forcer le grand écart. Dans mon article sur l’architecte, un homme de science et de fiction, je me posais déjà la question de l’anachronisme des projets trop futuristes (genre BIG), mais cette crainte résonne d’autant plus quand on sait le réel danger (urbain, social, politique) que peut représenter une erreur en architecture.

L’autre facteur de risque à limiter est l’accueil du public. A la livraison d’un projet, il existe toujours un décalage entre la forme projetée par un architecte et sa réception par les destinataires des lieux. Les usages du bâtiment créé seront multiples et différents de ceux prévus. Les habitants s’approprieront le projet de façon libre et non prévisible. S’ils s’adaptent à leur espace, ils l’adapteront aussi à leurs habitudes et aux aléas de leurs vies. Cette capacité de détournement du projet par le public peut mettre à mal les rêves d‘anticipation envisagés mais également les démultiplier dans le temps la vitalité du bâtiment.

 

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TENTER UNE ARCHITECTURE AUTRE

Dans la conscience d’équilibrer devoir d’anticipation et prise de risque, certains architectes responsables proposent des solutions très intéressantes.

La première est l’étude d’une architecture légère et économe qui peut se démonter et être recyclable. A chacun alors la projection de son projet sur mesure puisque demain il pourra être entièrement désossé, sans trace sur le paysage et remonté pour des nouveaux utilisateurs. Il existe de très beaux exemples de réalisations de ce type, notamment les maisons démontables de Jean Prouvé réalisées dans les années d’après-guerre. Souvent associée à des problématiques d’économies de coût et de moyen, l’architecture éphémère est très souvent développée pour les situations d’urgence mais pourrait être généralisée à un habitat urbain plus permanent.

Une autre stratégie fait la belle part à la modularité. Il s’agit de laisser la liberté aux choses et aux hommes d’évoluer par eux-mêmes. L’architecture sera alors souvent épurée mais jamais contraignante. Les parois seront mobiles, les pièces bien dimensionnées mais non affectées. APG nous a offert  dernièrement un bel exemple d’un tel projet avec la maison Saigon à Ho-Chi-Minh-Ville au Vietnam. 

En dernier recours, il est aussi possible de réhabiliter les bâtiments passés. Ces projets plus courant dans nos sociétés consistent à transformer, renouveler et adapter l’ancien pour le rendre plus conforme aux conforts d’aujourd’hui. Il est associé à cela une pointe de nostalgie et d’attache au patrimoine. Refaire du neuf dans du vieux, faire vivre un héritage. Mais ces projets se révèlent parfois être des opérations à cœur ouvert, très lourds financièrement et techniquement. Pour un peu d’amélioration thermique, l’économie d’énergie en coût globale n’est pas toujours assurée. Et à ces nouveaux projets, il ne faut pas non plus oublier d’anticiper pour demain.

 

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Au monde de fiction, nous sommes à la réalité. A tout architecte responsable, l’anticipation est une contrainte quotidienne et supplémentaire dans son travail. Si la recherche pure et théorique permet le rêve ultime et la création de forme nouvelle émancipée de toute contre-indication, l’architecture soutenable doit s’intégrer avec plus de nuances, mais jamais sans panache. A nous de jouer.

// CDu

Le petit son de l’article : the XX – « Hold on »

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