// UNE AFFAIRE DE REPRÉSENTATION…

Etienne-Louis Boullée, projet du Cénotaphe de Newton

Articles liées à la rubrique L'architecte sur site et Cité, atelier d'écriture pour jeunes architectes

Nous continuons cette semaine la série sur la fiction pour nous arrêter un moment sur la notion de représentation. En architecture, il s’agit souvent du nerf de la guerre, de l’atout de persuasion ou au contraire de la carte malchanceuse. La représentation, entendue dans un sens large, est l’action de présenter quelque chose, ou pour quelqu’un, le fait de porter le message, de présenter, le discours d’un autre ou d‘un groupe. En architecture, la représentation, c’est avant tout l’outil qui permet de donner corps à une idée ou à un espace conçu, de le projeter en formes dans l’imaginaire collectif.

Le jardin de Nebamon, vers av. J.C. en Egypte

Le jardin de Nebamon, vers av. J.C. en Egypte

LA CONVENTION

Dans une première logique complètement culturelle, la représentation fait d’abord appel à un système complexe de conventions. Les conventions de représentation permettent à une société d’attribuer des significations similaires à des formes données. C’est ce qui explique par exemple que notre œil soit habitué depuis la Renaissance à lire et comprendre la perspective, ou que nous soyons culturellement capables de lire la représentation d’une façade en élévation, alors même que notre œil ne la percevra jamais de cette manière. La convention ressemblerait à une sorte d’alphabet de formes, de pictogrammes ou de schémas qui auraient chacun un sens partagé par tous, mais mentalement. En architecture, le dessin des plans, des façades, des coupes, est conventionné et une erreur de représentation peut entrainer une erreur d’interprétation, donc d’exécution. Car le langage codifié, qu’il soit verbal ou graphique, ne s’appuie pas nécessairement sur un code ou sur une règle, mais sur le fait qu’il soit partagé et compris par tous.

Fra Angelico - l'Annonciation, tableau du XVe siècle

Fra Angelico – l’Annonciation, tableau du XVe siècle

Heureusement, certains architectes, artistes ou aujourd’hui graphistes, sortent de ces codes implicites et utilisent la représentation (et le contrepied des codes) pour innover dans les formes d’expression graphique du projet. La recherche de la perspective à la Renaissance fut une occasion de changer le regard sur le monde et plus particulièrement sur les Hommes, en donnant de la profondeur aux espaces. Le besoin de s’affranchir des modes de représentation imitant le réel à partir du XIXe siècle a participé à l’émergence de nouveaux modes de représentation abstraits, dans lesquels l’œil est pourtant en capacité de reconnaitre certains détails, héritage des conventions passées.

La colonnade du Louvre d'après Claude Perrault, architecte, fin XVIIe

La colonnade du Louvre d’après Claude Perrault, architecte, fin XVIIe

Le Sacré-Coeur, Georges Braques, peinture de 1910

Le Sacré-Coeur, Georges Braques, peinture de 1910

LE DISCOURS

La représentation est également le support d’un discours. Dans la recherche d’anticipation, telle que nous le présentait CDu dans son article, la représentation est bien le moyen de porter le discours sur les possibilités du futur, sur les innovation formelles et techniques recherchées. La représentation architecturale du projet est un outil au service du discours de l’architecte. Chaque architecte trouve son expression personnelle dans sa façon de représenter le projet, il livre une part de lui-même dans le choix du point de vue, des formes et des couleurs, mais surtout, il construit un discours par le dessin. Et à la grande différence du discours écrit ou du langage oral, la représentation ne construit pas un discours linéaire et continu, elle dresse un jeu itératif de formes et de couleurs, qui, confrontées entre elles, peuvent exprimer plusieurs choses à la fois. Le discours idéologique se mêle souvent au discours graphique pour communiquer autour du projet. La pensée de l’architecte penseur de la société se mêle à celle du concepteur d’espace, le dessin devient alors le réceptacle et la vitrine d’un modèle social. Etienne-Louis Boullée à la fin du XVIIIe siècle ou Le Corbusier au XXe, ont chacun utiliser la représentation pour inscrire leur idéologie dans le temps et dans l’espace.

La ville radieuse, croquis de Le Corbusier

La ville radieuse, croquis de Le Corbusier

 

LE SPECTACLE

En somme, coincée entre la convention et le discours, la représentation s’apparente à une pièce de théâtre couchée sur papier. Une représentation du projet architectural qui se joue en trois actes : ce que je vois, ce que ça dit, ce que je comprends. La représentation est un spectacle, celui de l’expression du génie créateur de l’homme qui ne trouve dans son crayon aucune limite, aucun code qui ne peut être oublié, aucun impossible auquel se confronter.

Plug-in-City Archigram

Plug-in-City Archigram

Le spectacle de l’architecture se traduit dans la représentation, de l’image de concours au portrait de l’architecte, représenter c’est concevoir, construire et faire jouer des acteurs. On dessine et on représente toujours pour un autre, pour d’autres, pour convaincre, pour dire, la représentation est une arme de persuasion, une scène qui se joue entre l’architecture et son auteur, entre le projet et son spectateur.

// Grégoire Bruzulier

Le petit son de l’article : The Pirouettes « L’escalier »

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