// EUROPEAN STYLE MADE IN CHINA, MAIS PAS SEULEMENT!

A farmer walks through a field near a replica of the Eiffel Tower at the Tianducheng development August 1, 2013. (REUTERS/Aly Song)

bleue européean style made in china

Alors que j’entame des recherches pour mon prochain voyage vers l’Empire du Milieu, le sujet du pastiche de la ville européenne par la ville chinoise se fait redondant. Si lors de mon premier voyage j’ai pu admirer jusqu’à écœurement le pastiche des villages traditionnels chinois, mais également ceux de l’architecture des minorités du pays, pour cette seconde découverte l’envie me prend de comprendre les raisons et les enjeux de ces reproductions européennes à grandes échelles.

Il existe en chine une tradition historique de la reproduction artistique et architecturale mais pourquoi à l’heure où les villes chinoises explosent, et où la question de leur identité s’impose, des monstres à l’européenne sortent de terre ? Et surtout qui sont ceux qui les construisent ?

INFILTRÉ PAR DES ESPIONS CHINOIS?

C’est avec beaucoup de naïveté que j’ai appréhendé ce sujet de la ville reproduite, me demandant en tout premier lieu qui pouvaient bien être les constructeurs de ces images d’Epinal ? J’imaginais bien qu’il fallait avoir une connaissance aigüe de nos villes européennes pour les reproduire de façon si parfaite. Alors j’ai imaginé une armée de petits chinois déferler sur nos villes par cars entiers, avec en tête le projet de définir les contours de nos centres urbains, appareils photos à la main. Mais c’est avec effarement que j’ai découvert que l’espionnage que j’imaginais, n’était qu’un fantasme construit de toute pièce par mon esprit français méfiant et qu’en réalité les auteurs n’étaient autres que nos architectes européens !

Une agence suédoise pour Luodian, une agence allemande pour Anting, une agence anglaise pour Songjiang. Des agences dont on ne parle quasiment jamais alors que les critiques vont bons train à propos de ces reproductions chinoises. En effet, on accuse nos amis de l’empire du milieu de reproduire frénétiquement tout ce qu’ils voient, sans jamais poser la question de qui sont ceux qui leur prêtent main forte. Or il semblerait que de grands groupes constitués d’ingénieurs, d’architectes et de designers s’amusent à reproduire sur de nouveaux territoires, l’histoire architecturale de leur propre pays. C’est ainsi qu’à Thames Town sont reproduits les différents styles architecturaux anglais mimant le développement historique de la ville, jusqu’aux moindres détails, importés directement du pays de Shakespeare : lampadaires, cabines, boîtes à lettres, bancs…

Quelles sont alors les raisons de cette multiplication des modèles dans un pays dont l’histoire millénaire n’a rien à envier à notre continent vieillissant, et pourquoi les architectes de ce dernier pastichent sans état d’âme les villes qui font la fierté de leur pays ?

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Gaoqiao, petite ville typiquement Hollandaise réalisée par l’agence KuiperCompagnons. Source: http://www.newtowninstitute.org

LE PASTICHE COMME MOYEN DE RÉCONCILIATION AVEC L’OCCIDENT?

L’ensemble des villes citées précédemment sont toutes des satellites de Shanghai. Pour assurer son développement et pour rendre attractive sa banlieue, la ville monstre a lancé un programme intitulé « Une ville et neuf bourgs », ceci en l’an 2000, et dont le but était de déplacer une partie de la population (on parle d’un million), vers des villes satellites nouvelles reliées par un réseau de transports. Pour lutter contre l’image fade et sans caractère des villes nouvelles, l’idée fut d’offrir à ces nouvelles bourgades une identité forte, rendant ainsi singulier l’espace habité pour les futurs acheteurs. C’est ainsi que Shanghai invita des architectes internationaux à former une image « typique » de leur pays d’origine.

Si Shanghai était considéré comme le symbole du capitalisme étranger jusqu’aux années 30, elle a souffert de cette image dite « occidentale » pendant la période communiste. Aujourd’hui la ville chercherait à prouver sa modernité et son attractivité en se réconciliant avec son passé de ville internationale, et en s’ouvrant vers l’occident à travers ce projet pharaonique de pastiche opérant un retour historique : la ville colonisée construite par des modèles imposés mixe aujourd’hui ces mêmes modèles qu’elle maitrise et avec lesquels elle joue. Cependant qu’en est-il de l’appropriation des ces nouvelles villes par les chinois, comment sont-elles perçues ?

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La confrontation des mondes à Tianducheng. @Reuters

 MALAISE DANS LA CITÉ!

Pour Lu Xiaotian le concepteur de Tiandu Cheng, le quartier français de la ville d’Hangzhou, l’objectif de ces reproductions tous azimuts est de faire venir « des gens attirés par la vie de château ». La cible de ces nouvelles villes est une population aisée à qui il ferait plaisir de jouer à l’occidentale. C’est alors que le jeu de la spéculation foncière entre en scène, faisant plafonner à 20% le taux d’occupation dans ces nouveaux quartiers, qui offrent alors l’image de villes fantômes. Villes fantômes mais également parc d’attractions, car les plus nombreux à pratiquer ces espaces sont en réalité des touristes, ou de jeunes mariés utilisant ces nouveaux décors pour leur photos souvenirs. Ces deux phénomènes, marchand et touristique, témoignent du rapport très réduit que les chinois entretiennent avec ces nouveaux quartiers sans âmes. Car vraisemblablement si ces villes sont boudées c’est aussi et surtout car elles n’apportent pas à ceux qui sont censés y vivre entière satisfaction. En effet, les critiques pleuvent : manque de commerces et d’infrastructures, appartements de mauvaises factures et mal configurés, et non- respect du Feng Shui. Les appartements sont exposés Est-Ouest comme à l’européenne, alors que selon les préceptes de l’art millénaire qu’est le Feng Shui, c’est au sud qu’ils doivent être exposés. Il y a donc un malaise dans la cité ! Un problème de pratiques différentes et non transposables.

Les dirigeants chinois ont imposé un modèle de pensée, à l’aide des architectes européens, diamétralement opposés aux pratiques de la population locale. L’architecture et l’urbanisme résultent de fait politiques et culturels. Ils sont le résultat d’une histoire et ils évoluent au fil du temps et des évènements vécus par ceux qui les pratiquent. L’espace public en chine est vivant, grouillant, l’espace privé de la maison est lié à la rue. Ensemble, ils fonctionnent de façon continue. Dans nos villes européennes cela fait bien longtemps que l’espace intime privé prévaut sur l’espace public. Ces villes chinoises ne sont faites que de monumentalité, d’un ensemble d’anecdotes mal articulées définitivement coupées de leur essence. Les chinois ne se reconnaissent pas dans ces cités magiques bien peu différentes les unes des autres. Comment reconnaitre une ville allemande d’une ville suédoise ?

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Photo de mariage à Thames Town. Source : http://www.zimbio.com

 ARCHÉTYPE DE LA VILLE GÉNÉRIQUE

Ces reproductions ne sont-elles pas l’expression d’un délire utopiste, résultant d’un désir profond de mettre en scène des villes idéalisées ? Si pour les chinois la copie n’a pas l’image négative qu’elle a chez nous, et au contraire, est un signe de sagesse, quelles sont les raisons qui motivent des architectes européens à rentrer dans ce jeu étrange de la copie mégalomane ? Serait-ce l’expression la plus totale d’un manque de conviction et de geste fort quant à l’architecture et à l’urbanisme ? Ou l’expression pure de ce que l’on appelle la ville générique, libérée de l’identité, en d’autres termes exempte de son histoire, fabriquée de toute pièce par des cabinets européens en mal de projets monumentaux sur leur propre territoire ?

// APG

Le petit son de l’article : Dena – « Cash, Diamond Rings, Swimming Pools « 

 

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