La semaine dernière, mon lundi a commencé par un rappel assez original de l’agenda : l’accueil d’un stagiaire de troisième pour une semaine d’étude et d’observations. Chaque année à l’agence, nous accueillons entre deux et quatre adolescent(e)s. Ces semaines de portes ouvertes ne sont certes pas les plus productives, mais les interactions avec ces jeunes recrues apportent toujours leurs lots de surprises et de richesses et valent bien le temps passé à se consacrer à la transmission de savoirs et de passions.
Leur passage du collège au métier est toujours empreint d’une fraiche innocence avec laquelle ils posent des questions sur notre parcours, nos pratiques, nos motivations. Des questions qui résonnent bien plus loin que ce qu’ils peuvent imaginer, car au-delà de leur vocation, s’éveille une introspection sur la nôtre. Qu’est-ce que vous voulez faire plus tard ? Qu’est-ce que vous voulez faire demain ? Depuis combien de temps ne vous êtes vous pas posé la question ?
FUTURES RECRUES
A cet âge, il ne faut pas se leurrer, certains viennent par intérêt pour le métier, d’autres débarquent aidés par le carnet d’adresse de leurs parents. Ces derniers ne sont pas à blâmer, je ne suis pas concernée par la problématique mais la recherche d’une entreprise pour un stage de troisième a l’air d’être un sacré challenge. Quand ils sont intéressés par la profession et qu’ils arrivent à exprimer leurs aspirations et leurs sources d’intérêt, ils parlent souvent d’une envie du dessin. Le dessin semble synthétiser pour eux l’espace de liberté et d’expression autant que la recherche esthétique. Cette motivation s’appuie sur une vision simplifiée du métier, mais pas fausse. Vous souvenez-vous du temps où seul le dessin de belles formes vous inspirez ?
Il est vrai qu’en oubliant un instant les tracas quotidiens du métier (économie, exécution, gestion d’agence, tout ce bazar…), on retrouve cette étincelle qui a motivé nos débuts. Si je réfléchis à mes aspirations d’enfant, je relie l’architecture à l’influence d’un oncle et d’une tante, architectes tous les deux, avec lesquels mes parents partageaient les temps de garde pour les vacances et les sorties. Chose amusante, cette organisation familiale a inspiré nos avenirs en filiation indirecte : ma cousine est devenue pharmacienne comme ma maman et moi architecte comme ses parents. La vocation joue des tours insondables.
De cette jeunesse, je retiens de multiples sorties aux musées, des balades à Paris en vélo et à pied, des invitations à regarder notre environnement partout où nous étions. Plusieurs voyages en Toscane furent également très marquants sur un été ou deux étés consécutifs, lors duquel nous avions visité Florence, Sienne, Pise .. Je m’en souviens encore, une histoire d’architecture à ciel ouvert !
Lors de ces activités, j’ai certainement été inspirée par leurs regards curieux sur les choses bâties et culturelles et ma passion pour l’architecture doit nécessairement trouver ses racines dans cet environnement familial. Avec cet héritage, ma vision du métier n’était pas tant tournée vers le chantier et la construction, mais vers une culture architecturale transversale à plein de domaines de la vie quotidienne : lieux de vie, espace social et public, loisirs, histoire, évolution …
VU DE L’EXTÉRIEUR
L’accueil de stagiaires de troisième me ramène toujours à une introspection positive sur les chemins de ma vocation, mais ce n’est pas le seul sujet remis en question. Les stagiaires arrivent à l’agence avec des questions inspirées par leurs observations ou bien soufflées par l’école. Les enseignants qui dirigent les stages confient aux adolescents une fiche guide qui les aide à cerner l’entreprise. Les questions y sont générales, préparées pour s’adapter à toutes les situations, ce qui donne lieux à des contre-sens amusants quand on essaye de les appliquer à une agence d’architecture.
L’entreprise vend-elle quelque chose ? Quels matériaux l’entreprise achète pour travailler ? L’environnement de travail est-il confortable ? Faut-il porter une tenue de travail particulière ? A ces questions formelles, s’ajoutent des interrogations plus profondes et percutantes. Quelles sont les qualités nécessaires pour exercer le métier ? Les défauts rédhibitoires ? Quels sont les inconvénients et les avantages relatifs à l’exercice de la profession? Encore une fois, sans en avoir l’air, les jeunes stagiaires apportent un regard extérieur stimulant sur notre quotidien et nous invite à réfléchir sur nos conditions de travail.
Répondre à ces questions est compliqué car je n’ai pas envie de gâcher ou de minimiser l’aura créatif associé à l’architecte. Les inquisiteurs de la semaine sont jeunes et ils n’ont pas besoin d’être confrontés tout de suite à la réalité brute d’un métier. Pour les stimuler et surtout être honnête et fidèle à mes convictions, j’aime apporter plus de nuances et de richesses à la présentation du métier. Mes réponses ne sont alors pas seulement tournées vers les outils de dessin et de projet, mais aussi sur la responsabilité qui incombe à l’architecte.
MATURITÉ ET NOUVEAUX DÉFIS
Il est vrai qu’à mon sens, l’exigence demandée au métier est de loin l’aventure la plus passionnante. L’architecte doit être visionnaire et créatif, mais il doit aussi être capable de maitriser son sujet et son chantier pour réaliser des bâtiments de qualité. Cette maitrise s’attache à chaque détail, ceux du plan, de l’insertion urbaine, de l’esthétique mais aussi de la réalisation et de la bonne facture. A ce titre, un architecte gagne à travailler en bonne entente avec les intervenants du projet (maitres d’ouvrage, exploitants, entreprises, bureaux d’étude …) pour appréhender dans son ensemble le bâtiment de sa conception à la livraison pour l’exploitation des usagers. Cette aventure humaine représente un défi quotidien non négligeable dans notre temps de travail.
En synthétisant l’évolution, je dirais que j’avais autrefois envie de faire de l’architecture, quand j’ambitionne aujourd’hui d’être architecte. La différence n’est pas que sémantique, mais désigne un champ nouveau d’exigences. La maturité et l’expérience ouvrent de nouveaux défis et assurent un regain de motivation pour continuer à se lever le matin.
Ce bilan s’établit alors que le dernier stagiaire quitte l’agence, mais je suis sure qu’à l’arrivée du prochain, un même constat s’établira avec, au fil des ans, de nouvelles connaissances à développer. La gestion d’une agence est un métier de chef d’entreprise, il faut intégrer des compétences de comptable, devenir stratège pour se placer sur les marchés ou encore assumer une fibre politique et commerciale. Est-ce que tout cela enrichira le postulat initial de la vocation ? J’espère que oui.
Pour laisser le mot de fin à ces juniors, je partage avec vous l’argument ultime que m’a donné un jour une recrue à la fin de sa première journée de stage. Très motivé, il affirme :
« Moi, en tout cas, je sais déjà que je voudrais être architecte plus tard.
– ah oui ? Qu’est-ce qui dans cette journée t’as déjà convaincu ?
– ben, t’as vu ton poste de travail ? »
… un iMac 27pouces … la vocation trouve ses voies n’importe où !
Photo : ©Agence SEARCH
Le petit son de l’article : Oh Wonder – « Without you »