
Nuit debout (photographie la http://www.lamanchelibre.fr)
Depuis le début du mois d’avril, le phénomène de « Nuit debout », mouvement citoyen spontané né à l’occasion des manifestations contre le projet de loi El-Khomri, semble perturber la classe politique et certains médias. Pas de leader affiché, peu d’intellectuels séduits ou engagés sur le terrain, des actions ni politiques (au sens de la politique), ni coup de poing, seulement des discussions, un potager improvisé et des citoyens anonymes. Le phénomène est avant tout urbain et nous rappelle avec une certaine naïveté la définition même de l’espace public.
Dans sa définition première, l’espace public renvoie à deux notions : l’espace physique dédié à la cité et praticable par tous (l’Agora chez Grecs, le Forum chez les Romain, la plazza, le parvis, etc.) et l’espace d’expression libre investi par l’opinion publique. Le philosophe allemand Jürgen Habermas a rédigé sa thèse de doctorat sur cette notion et a largement démontré le rôle de l’espace public dans la contestation du pouvoir en place (il parlait du pouvoir bourgeois). Seulement, si l’expression publique citoyenne semble être comprise par les élites lorsqu’il s’agit d’investir les rues pour manifester, elle semble moins évidente lorsqu’il s’agit d’occuper, physiquement et par la parole, des espaces publics urbains emblématiques.
L’occupation de l’espace public par les acteurs de « Nuit debout » est à la fois symbolique et pragmatique, immatérielle et désintéressée, naïve et forte.
Elle est symbolique car les premières formes de démocratie connues utilisaient l’espace public (l’Agora en l’occurrence) pour gérer les affaires de la Cité (la polis grecque). Le départ du mouvement place de la République à Paris repose donc sur une symbolique (consciente ou non) forte : le citoyen reprend en main les affaires de la Cité, de la République. Cette symbolique est d’autant plus forte que la place de la République incarne depuis les différents évènements terroristes survenus à Paris en janvier et novembre 2015, un symbole très fort de résistance. Les citoyens se réunissent pour protéger la République (la statue et le symbole).
Elle est pragmatique, car faute d’espace non maitrisé par les élites ou par les institutions (partis, syndicats, etc.), les citoyens ont utilisé ce qu’ils avaient de plus pratique pour s’exprimer : un espace urbain qui leur est symboliquement et physiquement dédié. L’occupation est aussi pragmatique parce non programmée et spontanée.
Elle est immatérielle car elle n’a pas pour vocation de servir une cause matérielle, ou de tirer parti de l’espace investi. L’occupation de l’espace public n’est utile qu’à la cause citoyenne et à l’expression libre et détachée de toute relation matérielle du citoyen (pas d’argent, pas de contrôle, pas de hiérarchie).
Elle est naïve, car elle n’est ni intellectualisée, ni théorisée, elle repose sur une démarche simple d’échanges, de débats, de réappropriation de l’espace public. Là où de nombreuses personnes cherchent à expliquer la démarche, elle est pourtant très simple et ne nécessite pas de digressions théoriques : l’espace public est par essence le lieu de l’expression de citoyenne, nous l’avions seulement oublié.
Elle est forte, justement parce qu’elle déroute. L’occupation de la place de République et des autres places des villes françaises qui suivent le mouvement est un retour aux sources de la démocratie. Certains ont tenté de s’attaquer à une prétendue appropriation privée de l’espace public pour émouvoir les cœurs, mais dès lors que le mouvement ne construit pas de frontière entre l’espace qu’il occupe et la parole de l’autre, l’évocation de la « privatisation » n’est qu’une banale incompréhension de la notion même d’espace public.
Car ce que nous rappelle ce mouvement est précisément ce que nous avions oublié : que la parole citoyenne n’est pas l’apanage de la seule classe politique et de l’élite intellectuelle, mais bien l’expression d’une parole collective, formulée au café en bas de la rue ou sur la place du village, ou plutôt, de la République. D’ailleurs, il serait peut-être temps d’aller s’exprimer aussi (et moi le premier).
Pour aller plus loin :
Article de l’Humanité
Reportage France Culture
Alors oui ! Il faut aller s’exprimer , bien haut et bien fort ! Ce mouvement spontané nous renvoi tous à notre liberté de citoyen de dire et d’agir.
Pourtant quelque chose me chiffonne dans cette affaire. La parole n’a vraiment de sens que lorsqu’elle est entendue. C’est l’écoute de l’autre qui lui donne sa portée et même plus simplement son existence.
Si personne n’écoute la parole n’existe pas, elle est niée.
Toute la question réside dans la manière dont l’espace public en plus d’être le lieu naturel de l’expression citoyenne peut se faire l’écho d’une parole aujourd’hui inaudible.
J’aimeJ’aime