Après avoir remarqué que l’art de la communication en architecture n’aimait pas beaucoup la présence humaine (voir article no man’s land), il faut souligner quelques initiatives qui tendent à mettre en avant l’importance de ceux qui vivent entre les murs. Le cas que je souhaite évoquer aujourd’hui est un peu particulier, car les murs ne sont pas finis, mais en cours de construction.
Aperçu sur le site de présentation du non-moins prestigieux projet de reconstruction des Halles de Paris, parisleshalles.fr, un diaporama officiel offre la possibilité d’observer l’avancement du chantier derrière les barrières de sécurité. Sur ces clichés, pas de désert improvisé mais des hommes, des vrais, en chaussures de sécurité et casques bleus.
DU BOULOT SOUS LA CANOPÉE
L’opération est plutôt bien menée, mois après mois des photographies sont ajoutées créant un véritable journal de bord du projet. Les prises de vues sont multiples allant du détail archi à la vue d’ensemble, mais elles immortalisent également des manipulations de chantier, l’action des ouvriers comme les moments de construction. Dans ce reportage, les hommes sont shootés dans leurs gestes professionnels, sans mise en scène particulière.
Cette attention à l’humain m’apparaît suffisamment rare dans le monde de la communication de l’architecture pour être remarquée et valorisée.
Ce reportage met en avant une étape très importante et déterminante pour la qualité de nos bâtiments et qui n’est pas souvent médiatisée : la vie de chantier. Cette phase concentre de multiples enjeux du projet, comme la qualité architecturale par la maîtrise des détails et des finitions, le calendrier et les délais d’exécution, et bien sûr, l’économie.
A travers cette communication, la SEMPariSeine[1], qui signe avec la Ville de Paris ce site internet, met en avant l’entreprise collective nécessaire pour construire les monuments de nos villes. Elle rappelle ainsi qu’un beau bâtiment ne nait pas seulement d’un rêve d’un politique lié à l’ambition d’un architecte. Il se construit grâce à une équipe et des corps de métiers spécialisés qui opèrent sur un temps considérablement long (des mois, des années) pour monter les équipements de nos cités et bouleverser nos vies.
En montrant l’envers du décor, ces photos valorisent également la technicité des systèmes constructifs et des hommes qui les mettent en place. L’espace dénudé de la canopée en cours de montage impressionne, la hauteur d’une grue sur la cité des halles chamboulée donne le vertige.
DES DOUTES SUR LA TRANSPARENCE
Cet exemple autour des Halles de Paris n’est pas le seul en liste et n’est pas réellement représentatif d’un mouvement humaniste au sein du monde de la construction. Pour modérer la démarche, il convient de rappeler l’importance et l’impact du projet de réhabilitation des halles pour les milliers de franciliens qui empruntent chaque jour les couloirs de la gare Châtelet-les-Halles. Avec un trafic quotidien élevé à 750 000 passagers pour le réseau souterrain et 150 000 visiteurs dans les boutiques du centre commercial, le site des halles est une principale porte d’entrée dans Paris. Cette exposition nécessite une communication transparente (dans la mesure du possible pour ce genre de machine mêlant pouvoir et finance) sur les raisons d’une telle interruption dans le service public et de la gêne occasionnée.
Comme tous ces grands projets, l’effort de communication constitue à lui seul une enveloppe dans le budget du projet. Site internet, pavillon de présentation du projet, panneaux de chantier didactiques, différents supports sont mis en place pour partager avec le public ce qui se trame derrière les barrières du chantier.
Le reportage sur les hommes de l’ombre participe aussi à l’ouvrage. Il montre la vision sociale et globale du projet. Avec d’un budget valant 800 millions d’euros, le projet crée à lui-même une économie de marché dont il fait bénéficier les entreprises du BTP et de l’artisanat. Seul aléa sous cet horizon, je n’ai pu trouver sur le site le nom des entreprises employées sur le chantier. Dans les pages listant les partenaires privilégiées, les maitrises d’ouvrage et les financeurs sont vite annoncées, mais pas un signe sur les prestataires ouvriers, quand bien même l’entreprise généraliste ayant remporté l’appel d’offre soit un grand géant du BTP, ce dont je ne doute pas. Cette absence relativise l’honnêteté de la démarche, qui ne va pas (ou ne veut pas) aller jusqu’au bout du processus de lever d’anonymat.
UN ÉVEIL AUX MERVEILLES
Toujours est-il que l’effort est fait et la photothèque du projet a plus que séduit mon œil curieux. Dans les conditions du chantier, la cohabitation entre l’homme et le bâtiment en train de se faire est une occasion propice pour faire école et introduire quelques notions d’architecture aux riverains. Quelque soit la taille du projet, l’intérêt peut être suscité pour expliquer les rouages de l’architecture. Construire représente un défi de pouvoir, de technicité et d’ingénierie porté collectivement par différents métiers et grâce à la mutualisation des savoir-faire.
A la levée du rideau, les petites mains disparaissent et la couverture médiatique est tirée à la fois sur les élus qui ont initié et porté politiquement le projet et sur les architectes, quand leur nom est connu. Le tableau des honneurs est rarement présenté au complet.

Pavillon de présentation du projet – à visiter sur le site des Halles pour en savoir plus sur le projet
[1] Une SEM est une Société à Economie Mixte détenue par une ou plusieurs collectivités locales. Une SEM œuvre pour la réalisation d’opérations d’aménagement et de construction.
Le petit son de l’article : St Lucia – « All Eyes On You »
https://www.youtube.com/watch?v=CWAILb_WSiU
Une réflexion sur “// CEUX QUI CONSTRUISENT”