// LES « DÉLIRES » D’OFFICE KGDVS

La pièce de la piscine avec toiture ouverte

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Quand on découvre un bâtiment construit par un architecte au détour d’une rue ou au loin dans le paysage, il arrive parfois que l’on se demande : « mais pourquoi est-ce qu’il a fait ça ? ». S’ajoute souvent une seconde remarque : « ça doit être un délire d’architecte ». En effet, l’architecte délire. Contraint par une somme de réglementations, d’obligations, d’impossibilités, qui résultent de lois, de la géographie, du climat, de cultures, de la géologie, de volontés, de budget, l’architecte doit trouver la brèche qui lui permettra de trouver un peu de plaisir dans le projet qu’il dessine. Cette brèche est celle de la créativité plus ou moins développée en fonction des individus, et qui lui permet de transformer les contraintes afin de proposer un projet de qualité. Car même si cela ne se voit pas toujours, l’objectif idéal à atteindre pour un architecte est celui d’un projet de qualité.

L’outil majeur pour réaliser un projet est la contrainte, c’est elle qui prédéfinit le cadre dans lequel le projet pourra être élaboré. Le travail de l’architecte est d’arriver à dépasser la contrainte pour la sublimer. Par chance, un certain nombre de contraintes sont inhérentes au projet d’architecture ce qui permet au fil des années d’élaborer un langage architectural propre à chaque professionnel ou à chaque agence. C’est là que le délire entre en jeu. Le délire est en fin de compte, souvent, la signature de celui qui dessine, qui pense le projet.

LE DÉLIRE EN ACTION

En août 2014, j’ai eu la chance d’assister à une conférence organisée par la Maison de l’Architecture Midi-Pyrénées, qui donnait la parole à une agence Belge que je ne connaissais pas : Office KGDVS. Il s’agit d’une agence créée en 2002 par Kersten Geers et David Van Severen implantée à Bruxelles, deux architectes d’origine flamande. Lors de cette soirée d’été c’est David Van Severen qui tenait le micro et qui, durant une heure trente, nous a raconté l’histoire d’un certain nombre de projets remportés par son agence. Durant cette heure et demie il nous a emmené à la découverte de l’élaboration de ses projets, il nous a offert une grille de lecture pour comprendre ce que j’appelle son « délire d’architecte ». Au travers de la découverte du travail de son agence, c’est la vision de ce qu’est l’architecture pour eux qui transparait. Un certain nombre d’éléments constructifs, de notions et de références se répètent inlassablement et sont à chaque fois réinventés, constituant une toile de fond qui maille les projets de l’agence. Pour cette conférence, David Van Severen a fait le choix d’extraire trois notions de cette toile et de nous raconter 9 projets caractéristiques de l’influence de ces trois. Trois projets pour une notion, une notion qui devient le fil rouge de l’histoire : «¨Perimeters, Rooms & Boxes ».

« PERIMETERS », LA LIMITE CRÉATRICE

Le périmètre est une limite, c’est le contour qui définit spatialement le projet. Ce périmètre peut se transformer en barrière, en mur, en haie, parfois en parking ou peut être laissé libre. Il arrive souvent que l’objet architectural soit au centre du périmètre donné mais que les contours ne soient pas réellement traités. Ainsi, au lieu de repousser les contours, le duo belge s’est donné pour objectif de composer avec. Ici, la notion de périmètre est l’élément constitutif des projets présentés, elle en est la source, c’est avec elle que les plans sont pensés. C’est ce terme qui définit l’architecture.

Le pavillon belge de la biennale d’architecture // L’objectif de leur présence à la biennale d’architecture est d’exposer leur travail dans le pavillon belge. Au lieu d’exposer de l’architecture dans une architecture, l’agence prend le parti de mettre en scène l’architecture existante. Le pavillon belge datant d’un siècle a été moult fois remanié et transformé, et pour eux, ce bâtiment se suffit à lui-même pour une démonstration d’architecture. Construit légèrement de biais, les architectes décident de recréer la limite de parcelle en entourant le bâtiment d’un mur épais construit en échafaudage dont les façades pleines créées un corridor opaque. Pour le visiteur le pavillon historique est complètement dissimulé derrière la construction métallique, ainsi il doit traverser 30m de couloir sans savoir où il va pour atteindre l’intérieure du pavillon. Il y entre par une petite porte au fond du bâtiment et c’est après avoir traversé les pièces successives qu’il ressort par la porte principale historique, où il découvre alors un petit patio hors du temps créé par la façade du bâtiment et le mur d’échafaudage. Le sol est partout jonché de confettis et dans les pièces sont disséminées un peu partout des chaises. Seul l’espace est à observer. L’architecture est ici un nouveau périmètre qui permet de mettre en scène l’espace.

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La Villa palladienne // La maison individuelle réalisée ici a pour référence initiale les villas italiennes de Palladio, demeures de campagne, caractérisées entre autres par leur isolement au milieu d’immenses parcs arborés. La parcelle du projet se situe en Belgique en bordure de forêt à l’extrémité d’un village très dense. Toutes les propriétés sont entourées de clôtures sécurisant les habitants. Frappé par l’omniprésence de la clôture l’agence décide de la prendre pour élément moteur, non pas en la repoussant le long des contours de la parcelle mais en l’installant au milieu de cette dernière. Ainsi l’extrémité de la propriété est laissé libre, transformé en une épaisse prairie fleurie. La maison semble alors libérée de toutes limites imposées par le plan local d’urbanisme. Elle est non plus le long d’une rue de village, mais au cœur d’un petit parc ; la clôture forme un rectangle dans lequel s’insère le cube de la maison. Ici c’est la clôture qui définit le volume de la maison et celui du jardin. Le plan carré de la maison est fragmenté en 9 pièces de tailles égales. Le long de deux côtés c’est la clôture végétalisée qui fait office de façade, créant ainsi des pièces en lien direct avec l’extérieur. C’est alors une succession d’espaces extérieurs aux caractéristiques très différentes qui s’offre à nous : un espace intérieur/extérieur dans la maison, un espace extérieur entre la maison et la clôture formant un patio et un dernier qui est celui de la prairie fleurie. La maison est ainsi double : la première au rez-de-chaussée en communication directe avec l’extérieur est pensée comme une maison patio, la vue sur le paysage est entravée par la clôture végétalisée qui limite l’espace ; et la maison de l’étage, la seconde, n’a de lien avec l’extérieur que par de grandes vitres dont les cadres n’entravent pas la vue vers le lointain.

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A chaque fois le périmètre est un outil non pas pour créer un beau bâtiment mais pour créer de beaux espaces, des espaces d’observation offrants des sensations variées.

« ROOMS » – L’ESPACE DE TOUS LES DÉLIRES

La pièce est l’élément constitutif d’un bâtiment, c’est ce qui le compose. La pièce est d’abord limitée par ses murs mais elle est surtout un espace vide dans lequel l’usager doit pouvoir y inventer son histoire; c’est en associant les pièces entres elles et en les faisant communiquer harmonieusement que la magie opère.

La maison de week-end // Dans un village très dense, un propriétaire demande de transformer sa maison en maison de week-end. Pour l’agence, maison de week-end raisonne avec l’idée de « rêve »,  lieu paradisiaque dont on peut profiter pour se reposer de sa semaine de travail. Or, le village où est située la maison est tout sauf paradisiaque. Le challenge est donc de créer ce paradis entre les murs étroits de la parcelle coincée entre deux autres maisons et deux autres jardins en bande. La parcelle se découpe en deux, le long de la rue sur 10 m de large : la maison, et derrière elle sur 40m de long : une cour. C’est cette cour qui deviendra le lieu du paradis. Inspiré par les tableaux du Douanier Rousseau et par le travail de l’architecte Mies Van Der Rohe, l’agence propose de fragmenter en 4 la cour arrière en pièces de 10x10m en enfilade définissant de nouveau univers. Opposée à la maison en étage, cette organisation propose non plus une vie à la verticale mais une vie à l’horizontale et fait se succéder 4 séquences communicant les unes avec les autres : d’abord une cour, puis une serre tropicale avec une unité de salle de bain et une piscine, vient ensuite un loft et tout au fond un jardin traditionnel arboré avec pelouse. Une toiture amovible peut glisser entre la cour et la serre tropicale en fonction des saisons et des intempéries. Les pièces proposent des univers différents par leur fonction et sont caractérisées par un mobilier dessinées pour elle. Le cœur du projet est le loft auquel s’associe la pièce « piscine », délimitée par la cour pavée d’un côté et le jardin arboré de l’autre. Ce nouvel aménagement propose une maison de week-end qui se coupe radicalement du reste du monde, complètement hors contexte et hors de toute réalité, il réinvente l’espace et invite au plus complet ressourcement.

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« BOXES » – SOUS LES PAVES LA PLAGE

La boite est en fin de compte la somme du périmètre et de la pièce. La boite se définit par un périmètre clair matérialisé par un matériau solide et dense dont les limites créent un espace distinct.

Les oasis // Encore une biennale, mais cette fois-ci d’art, à Charjah, une ville des Emirats Arabes Unis, seconde agglomération la plus peuplée après Dubaï. Invitée à produire une construction en ville en plein été, au milieu du béton et de l’asphalte, l’agence décide de lier les différents espaces de la biennale. Dans le tissu urbain très dense, il ne reste que quelques traces du tissu organique historique, et l’espace public y est presque inexistant. L’agence s’inspire de photographies de Dubaï dans les années 50 ; sur les images la ville est beaucoup plus petite et rythmée par des jardins entourés de murs légers construits en feuilles de palmier tissés. L’agence propose alors trois petites structures identiques, trois structures légères formant une boite transparente emplie de palmiers où l’asphalte a été découpé pour laisser place à de la terre et quelques bancs ont été installés ainsi que des constructions en béton. Un lieu dans lequel il fait bon de se poser à l’ombre des arbres. L’espace réalisé sort le visiteur du temps et lui propose un moyen d’échapper au contexte brutal dans lequel il évolue quotidiennement.

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ESPACE A VIVRE

Ce qui me touche dans le travail de cette agence, c’est la sensibilité qu’elle exprime au travers de ses opérations. L’histoire qu’elle raconte est celle d’une certaine simplicité magnifiée par la lisibilité des plans, par l’importance des matériaux et du végétal, l’impact est toujours minimum, et les plans sont marqués par une géométrie légère constituée d’une éternelle trame. Les espaces communiquent entre eux afin d’évoquer des perspectives pour inviter celui qui les traverse au calme et à la contemplation. A chaque fois c’est l’espace qui est donné à voir et moins la forme architecturale. Souvent, on pense qu’un architecte est là pour ériger de beaux murs, c’est vrai que cela est une des conditions des projets, mais pas seulement, l’architecte est surtout là pour ériger des murs afin de créer un espace de qualité. A chaque projet, Office KGDVS réinterroge les moyens pour contourner les contraintes, et il nous montre que souvent un « délire d’architecte » résulte d’un processus de création afin de réaliser des projets audacieux, réussis ou non !

//APG

Le petit son de l’article : David Bowie – « Space Oddity »

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