Paris-Texas. En dehors du film culte de Wim Wenders, ce titre pourrait qualifier mes vacances de Noël à l’occasion desquelles je suis partie à Houston retrouver un bout de ma famille expatriée aux États-Unis.
Pour mon deuxième voyage aux États-Unis, il va sans dire que Houston n’était pas particulièrement la ville qui faisait rêver mon petit cœur de touriste. J’avais visité New York l’année dernière et je rêvais de côté ouest, autant pour les villes, de Los Angeles à San Francisco ou Las Vegas, que pour les paysages et le parc du Yosemite (avec des chaussons et un baudrier d’escalade !). Mais à contresens des circuits touristiques, il y a eu escale à Houston et cette ville s’est avérée être un sujet d’étude très passionnant, qui suscite encore chez moi quelques interrogations et une soif de découverte. Quand on ajoute à cela la magie de Noël et la joie de retrouver sa famille, on réussit un très beau voyage dont j’ai plaisir à partager avec vous quelques moments.
Il y a beaucoup à dire et à apprendre sur les États-Unis et mon intention n’est pas de professer un cours d’histoire de l’urbanisme. Toutefois, l’agglomération de Houston regroupe presque 6 millions d’habitants et s’élève au rang de la quatrième ville des États-Unis. Fondée au début du 19e siècle, elle a connu un développement phénoménal au cours du 20e siècle. Cette histoire moderne et ce boom d’accroissement en fait un exemple symptomatique des villes nouvelles américaines particulièrement intrigantes pour l’architecte que je suis.
Ce carnet de voyage est mon premier et s’il n’y pas l’appétit des espaces inconnus d’APG, je tenterais néanmoins de partager avec vous mes surprises et mes découvertes de l’american way of life. Plutôt qu’un récit, il prendra la forme d’une série de notes énumérant les faits urbains étonnant dont l’expérience m’a marqué.
DÉFINITION D’UNE VILLE
Premier fait marquant : l’incompréhension ressentie au début du voyage sur la définition de la ville. Et pour cause, le modèle des villes européennes est tellement imprégné dans notre culture que nous recherchions, en tout mimétisme, les mêmes repères pour appréhender la ville de Houston. Il nous a fallu plusieurs jours et balades pour comprendre que notre recherche de centre-ville était vaine. Les visites de différents « quartiers » ne nous paraissaient pas suffisantes, car on nous proposait de l’urbain quand on voulait voir de la ville.
Tel est pourtant le modèle de Houston. La ville n’est pas composée à l’européenne concentriquement à son centre historique et à son centre de pouvoir (ou décisionnel), mais décomposée. Les quartiers sont fragmentés, là des malls commerciaux, là des zones pavillonnaires, des bureaux ou des ensembles résidentiels. L’architecture est dépareillée. Il n’y a pas de centre ville à Houston, ni par les fonctions, ni par la concentration urbaine. Plusieurs zones urbaines gravitent sur un territoire et l’ensemble est nommé ville.
Ce nom forme l’identité civique et légale de Houston, et en quelques jours de voyage, j’ai le regret de dire que je n’ai pas reconnu les caractéristiques de l’identité urbaine. A défaut de repères connus pour considérer son agglomération, la ville m’a échappé. Il faut dire que le relief n’aide pas, plat comme une plaine, aucun point de la ville n’offre un point de vue sur l’étendue urbaine. Il m’aurait fallu monter au sommet d’un gratte-ciel, mais en cette période Noël, les tours du business « downtown » étaient fermées pour congés.
ÉTALEMENT URBAIN
La ville fragmentée est une conséquence d’un développement urbain moderne élaboré entre le 18 et le 20e siècle. Deux logiques majeures expliquent le plan de développement d’une ville comme Houston. En premier lieu, l’introduction de la voiture, placée comme référentiel. Grâce à ce mode de transport individuel, les distances ne sont plus des obstacles et permettent au contraire d’offrir suffisamment d’espace et plus d’intimité.
Deuxième logique majeure, un état d’esprit où la liberté est un état de fait et est conjuguée à une disponibilité foncière. Dans un pays aussi grand que les États-Unis, le processus d’expansion ne trouve ni de contraintes ni de limites. La géographie permet l’établissement de villes étalées et quand la nature dresse des obstacles, l’impossible n’existant pas aux États-Unis, l’homme continue de construire magistralement au milieu d’elle.
L’exemple parfait pour servir de démonstration est une ligne à haute tension rencontrée sur le lac de Pontchartrain en direction de la Nouvelle Orléans. Au lieu de contourner le lac, comme l’aurait fait un ingénieur français, l’équipe américaine a préféré faire traverser en suspension la ligne sur des pylônes de béton qui traversent les 64km d’eau. A cela s’ajoute une route, que je n’ai pas eu la chance de prendre, mais qui traverse le lac du nord au sud en pleine eau, 34km de ligne droite depuis les vues aériennes. Incroyable mais vrai !
AUTO-STOP
Évoquées juste au-dessus, la voiture et les infrastructures de transports sont très présentes, voire centrales dans la composition de la ville. Nous avons tous en tête l’image d’échangeurs autoroutiers s’enroulant sur plusieurs étages pour éparpiller les voitures dans toutes les directions. Ces nœuds de béton sont fréquents à Houston. Les autoroutes de Houston comptent un peu moins de 927km de voies dans la zone métropolitaine. A la manière de nos boulevards, elles créent la trame principale de distribution de la ville. Un maillage de taille ! D’autant plus que la Loop, Beltway et Grand Parkway, les principales artères, peuvent s’élargir de 6 à 8 voies dans chaque sens…
Devenue unité de mesure, la voiture est un élément indispensable, vital, pour réaliser des actions simples de vie en ville : travailler, consommer, rencontrer. Face à cette réalité, les commerces, les services et l’espace public se sont adaptés et ont modifié leurs offres pour accueillir un public véhiculé, avec l’aléa inévitable des ères de parking en façade.
Plus qu’une liberté, la voiture asservit maintenant les modes de déplacement. Sur ce fait, j’ai du mal à ne pas me montrer critique tant je n’apprécie pas la dépendance à la voiture que je tente d’éviter même dans ma vie en province/village.
ESPACE SOCIAL / COMMUNAUTARISME
La place prépondérante de la voiture modifie le profil de rues. Nous ne trouvons plus une configuration [maison/ voirie/ maison], mais une suite [maison/ parking/ voirie/ parking /maison, hors d’échelle pour le piéton et les habitants qui s’éloignent matériellement des uns des autres. A défaut de concentration urbaine, l’espace urbain et l’espace social en prennent un coup et doivent se réinventer dans d’autres sphères. La sphère de prédilection est bien sûr l’habitat, même si lui aussi est soumis à d’autres logiques de conception.
Le développement de ville selon les logiques déjà évoquées, a rendu possible l’installation de ménages sur des terrains choisis non pas en raison d’opportunité foncière, mais par sélection d’affinité de voisinage. Il en résulte des quartiers ultra spécialisés, qui répètent jusqu’à la caricature le même modèle d’architecture.
Pour ma part, j’ai séjourné dans le nord-ouest de Houston dans un quartier pavillonnaire, digne du quartier Wisteria Lane de la série Desperate Housewives : de grandes maisons posées à distance de la chaussée et du voisin, avec son jardin privatif et ses box de garages attenants.
A l’heure des fêtes, les maisons du voisinage rivalisaient de décorations de Noël pour illuminer le quartier. Cette tradition met aussi en lumière une volonté de sociabilisation, d’effort collectif, très présente au sein des quartiers. Outre cette anecdote de saison, on retrouve cette attention dans les community center, espace de jeux plus ou moins équipés destinés aux habitants (jeux pour enfants, terrains de tennis, piscine…). Ces espaces sont à la charge et la gestion des habitants, de même que l’entretien de platebandes des trottoirs.
Cette description se base uniquement sur le quartier dans lequel j’ai séjourné et même si cela aurait été intéressant, je ne pourrais pas faire la comparaison avec la vie dans des quartiers moins favorisés. Néanmoins, je crois que l’envie de récréer un petit cercle de société au sein du quartier résidentiel est liée à l’espace public et social indisponible dans les quartiers non résidentiels.
NATURE EN VILLE
Pour faire état aussi des observations plus positives, j’ai été saisie de voir la nature prendre une place très importante à Houston. L’introduction (ou la sauvegarde) de la nature en ville est qualitative et caractéristique d’une ville construite sans recherche de concentration urbaine, la nature garde quelques droits pour augmenter la qualité de vie.
La nature à Houston est présente sous plusieurs formes. A petites doses, on retrouve en ville des allées aérées et plantées, des palmiers autour des pistes cyclables. Aussi vénérable que Central Park l’est à New York, le Buffalo Bayou Park est une voie verte très appréciée des sportifs et des familles. Sur plusieurs kilomètres, des aménagements ont été faits pour viabiliser les abords de l’affluent marécageux et offrir à la ville un merveilleux parc.
Dans ce parc et dans les quartiers résidentiels, le tumulte de la ville est maintenu à l’écart et on se surprend à entendre les éléments naturels, chose impensable dans les cités européennes concentrées. On voit même des écureuils se balancer sur les branches et même si pour les américains ils sont aussi nuisibles que des pigeons, ils restent très bucoliques à mes yeux !
TOURISME
Dernier point évocateur, le tourisme et Houston. En fait, l’association n’est pas si simple car il n’y a pas de touristes à Houston, ce n’est pas le lieu, ce n’est pas l’époque. Les sympathisants du sud des États-Unis se dirigent plutôt vers la Louisiane et la Nouvelle Orléans, motivés par l’appel du Mississippi.
C’est étonnant de voir à quel point le tourisme urbain s’ancre sur des motivations historiques et patrimoniales. Quand ces critères sont absents ou ne sont pas jugés suffisants, les circuits touristiques se détournent et la ville n’intègre pas leur accueil.
Pour préparer ce voyage, la recherche d’un guide touristique a valu à mon beau-père le sourire du vendeur car l’offre n’existe pas plus que la demande. Conscients mais non préparés à cet état de fait, notre visite à la Chapelle Rothko s’est terminée par des rires critiques. La petite chapelle minimaliste est peut-être forte en symbole et très intéressante dans la démarche artistique, mais comme seule attraction culturelle prônée par les connaisseurs de la ville, cette pièce unique fait pâle figure face aux cathédrales d’art de toutes époques des cités françaises.
Autre lieu contournable de la ville, nous n’avons pas manqué de visiter le centre spatial de la NASA. Si vous avez retenu mon intérêt pour la Science-Fiction, vous devez imaginer mon excitation à l’idée de me retrouver dans ce lieu historique où la conquête spatiale est devenue réalité et vie quotidienne pour de nombreux cosmonautes.
Dans ce centre, la scénographie est très différente de ce que l’on peut connaître d’un musée. Il ne s’agit pas tant d’apprendre dans une posture passive, mais de proposer l’expérience de l’espace et des machines de navigation. Ainsi, le touriste est actif et mobile dans un parcours libre. L’établissement prend des allures de parc d’attraction et si j’ai adoré visiter le centre de commande authentique et historique où la navette Apollo 11 a été dirigée sur la lune, le contenu n’a tout de même pas réussi à combler ma curiosité.
HEY HOUSTON, WE’VE HAD A PROBLEM HERE.
Pour conclure ces divagations de voyage, qui pourraient m’emmener encore très loin, je retiens de ce voyage un émerveillement passionné non pas sur le charme, mais sur les différences entre Houston et les villes européennes que je peux connaître. La culture américaine a beau être très familière, puisqu’on l’a côtoie régulièrement dans les films, les séries, les chansons, elle reste étrangère à nos références inconscientes. La familiarité des formes et du langage ne modifie la connaissance que seule l’expérience peut apporter. A ce titre, Houston reste une destination de choix !
Le petit son de l’article : David Bowie – « Ashes to Ashes »
Une réflexion sur “// PARIS – TEXAS”